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LE ROMAN D’HIPPOLYTE

Mais la bête de fer résistait, crachant du feu et soufflant dans l’air une fumée nauséabonde. Parfois, ses cylindres lançaient de stridents jets de vapeur tandis que la chaudière poussait de terribles grognements. « Wou, wou, wou ! » aboyait-elle comme enragée de colère mais sans vouloir bouger d’une ligne. Non, elle n’obéirait pas à ses nouveaux maîtres. Ils pouvaient bien s’acharner, la gaver de charbon, se dépenser en manœuvres et « tripotages » de toute sorte, elle ne roulerait pas, elle ne servirait pas contre son pays.

Le jeune homme s’enthousiasmait :

— Vraiment, cette énorme masse de tôle semblait vivre. Une âme de patriote vibrait en elle, d’une force d’inertie indomptable. Et un parterre de dieux et de déesses, tout l’Olympe de Blaton-Aubert regardait, applaudissait au courage de cette farouche esclave qui résistait et insultait aux voleurs !

Parfois, dans un généreux élan d’impartialité, Adolphine transigeait avec son ressentiment et allait jusqu’à plaindre les misérables soldats qu’elle rencontrait dans la rue :

— Il y en a tout de même qui ont l’air si triste ! Et puis, ils ne sont pas tous mauvais, vous savez !

Et, dans les protestations que soulevait cette pitié inopportune, elle contait quelque histoire attendrissante, par exemple le geste de ce pauvre diable de soldat qu’elle avait vu ce matin, au boulevard, extraire à grand’ peine de sa poche