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LE ROMAN D’HIPPOLYTE

sous prétexte de mettre tous les consommateurs à l’aise ! C’étaient les sportwomen de la charité, bien plus occupées de « paraître » que de soulager, perruches bien en plumes que des sessions de thé ininterrompues réunissaient tout le long du jour dans une salle adjacente, oasis de frivolité mondaine dans la misère du peuple.

Mais la cuisine n’était pas la seule occupation des bonnes ménagères du « bas de la ville ». Lingères habiles, elles confectionnaient des trousseaux de soldats et de blessés dans la grande maison familiale de la rue des Chartreux transformée en ouvroir. Il n’y avait pas jusqu’à Mme Platbrood qui ne voulût se rendre utile, incapable de se croiser les bras.

Toujours silencieuse, ployée sous le poids de ses tristes pensées, elle tricotait des bas et des écharpes, distraite parfois un moment par le babillage de ses filles ou l’apparition du major qui, à pas feutrés, traversait la salle sans rien voir ni rien dire, comme un personnage fantomatique de vieux burg. Une angoisse permanente lui étreignait le cœur au pressentiment d’un danger inéluctable. Sa douleur, traversée par des lueurs d’espoir aussitôt éteintes, lui oppressait la poitrine, la faisait souffrir physiquement. Sa tête, souvent, lui tournait de chagrin. Toujours, elle songeait : le cher enfant, où donc se trouvait-il à cette heure ?

Il y avait bien longtemps qu’on était sans nouvelles de lui. On savait qu’il avait échappé au massacre d’Aerschot, mais si ce n’était qu’un