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LE ROMAN D’HIPPOLYTE

Alors, une souffrance inexprimable crispa son cœur, comme si cet horrible étendard lui arrachait son nom de Belge. Certes, ce n’était pas le premier drapeau étranger qui s’arborait en maître de la capitale. Oui, mais comme le sentiment populaire s’était encore échauffé, depuis ces temps abolis, au souffle mûrissant de la liberté ! Et d’ailleurs, pensait-il, ces drapeaux n’avaient pu être aussi détestés que celui-ci, sinistre emblème d’une nation contre laquelle il avait une antipathie d’enfance, race brutale et vantarde, horriblement bruyante, chez laquelle tout lui déplaisait, le heurtait, sa langue, ses mœurs, sa fausse sentimentalité, son art comme son odieuse politique dont la devise se résume en ces mots : « Vivre c’est faire la guerre », race indigne d’avoir enfanté Gœthe et Beethoven, race de proie qui ose proposer sa culture quand elle déchaîne les calamités, ne respire que sang et carnage…

— Allons, viens seulement ! répétait Adolphine.

Mais il songeait toujours, accablé d’une tristesse infinie. De quelle malédiction étions-nous donc les victimes ? Quel crime nous fallait-il expier ? Dans sa consternation, il se demandait si tout cela n’était pas bonnement un tragique décor d’opéra ; il faisait effort comme pour s’évader d’un prestige…

— Oh, je t’en prie, partons ! supplia Adolphine. Moi, je ne sais plus rester, ça me fait trop de chagrin !