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LE ROMAN D’HIPPOLYTE

par un cordon de policiers qui ne laissaient passer que les habitants du quartier ou des fonctionnaires de la ville. Croyant que l’accès serait plus facile d’un autre côté, ils contournèrent les petites maisons adossées contre l’église pour enfiler le Marché-aux-Herbes. Mais comme ils passaient devant le couloir obscur de la rue Chair-et-Pain, ils s’arrêtèrent, confondus à l’aspect de deux soldats qui, embossés dans une houppelande de nuit, le casque décoiffé de sa toile, la baïonnette au canon, gardaient, immobiles comme de statues de pierre, l’entrée de la place.

C’était l’occupation. Bruxelles n’appartenait plus aux Bruxellois.

— Viens, murmura Adolphine suffoquée, oh, allons-nous-en !…

Elle le tirait par le bras sans parvenir à l’entraîner. Hypnotisé par l’affreuse grandeur du spectacle, Joseph demeurait à regarder la place déserte éclairée par les hautes lampes à arc dont la vaporeuse lumière baignait les dentelures gothiques et se projetait en éclats sur les vitrages maillés de plomb de l’hôtel de ville. À la porte de la chère Maison, des sentinelles géantes montaient la garde, saluant du port d’armes les traîneurs de sabre qui pénétraient sous la voûte au fond de laquelle resplendissait la cour d’honneur illuminée.

Et, comme il s’était avancé de quelques pas, Joseph aperçut tout à coup l’immense drapeau allemand qui pendait raide, inerte, telle une feuille de métal, au balcon de l’aile gauche.