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LE ROMAN D’HIPPOLYTE

lui était restée pourtant, celle de sa bouche : la perte de ses brosses à dents lui eût semblé un gros désastre.

Il était sérieux, réfléchi, non qu’il n’aimât à rire et ne se plût à la gaîté des autres et de la sienne. Mais la pente naturelle de son esprit était plutôt la gravité.

Sans révolte ni plainte, le nouveau docteur en droit acceptait donc cette rude vie qui l’arrachait à ses travaux, à ses habitudes, aux gâteries de sa mère mais aussi à son chagrin dissolvant. Cette rapide adaptation, cette faculté de se mouler aux circonstances chez un garçon de mœurs choisies, son sentiment de la discipline, son flegme, son égalité d’humeur imposaient aux compagnons ; et Michel lui-même, qui se lamentait parfois, maugréait contre certains chefs, discutant leurs ordres, leur capacité et jusqu’à leur conduite, retrouvait bientôt auprès de lui le bon équilibre moral, son instinct de farceur, sa jovialité un peu bourrue, ses mots de haut poivre et ces énergiques apostrophes qu’il lançait dans la mêlée avec une voix criarde, comme s’il avait la pratique de Polichinelle dans la bouche. C’est lui qui dans la surprise terrifiée des premières décharges crânait gaîment :

— C’est une blague ! On travaille pour le cinéma !

Et, tireur magnifique, il déchargeait son arme dont toutes les balles portaient coup.

C’était un grand réconfort pour les deux amis d’être ensemble ; ils pouvaient s’isoler du régi-