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LE ROMAN D’HIPPOLYTE

Tout le paysage était changé. À travers les campagnes dorées et rutilantes, des soldats cyclistes dont, par dessus les blés mûrs, on ne voyait que les bustes penchés, se hâtaient à toutes pédales ; des files de pièces d’artillerie avec leurs caissons vêtus de poussière, encombraient les routes aux abords des gros villages ; et souvent, on rencontrait un escadron de cavaliers allongés sur le talus devant leurs chevaux et qui saluaient gaîment les voyageurs au passage avec des cris et des gestes de bon accueil. Ah, cette fois, c’étaient les vraies grandes manœuvres. L’insouciance de ces hommes ajoutait peut-être à l’oppression ; tout le monde regardait, les yeux écarquillés, dans un recueillement subit, plein d’anxieuses pensées.

Adolphine s’étonnait de ces préparatifs. Elle ne pouvait croire à l’invasion :

— Est-ce que réellement, ils vont venir par ici, dit-elle à voix basse ; ça serait tout de même un peu fort !

Joseph eut un geste vague. Enfoncé dans ses réflexions, il cherchait à démêler les causes, à déchiffrer l’avenir. Quels seraient à notre égard les décrets de l’impassible Destin ? Car, profondément sceptique, il n’avait jamais cru à une Providence régulatrice pour le diriger toujours dans l’intérêt du juste et du bon. Après cela, notre actuelle souffrance était-elle une chose absolument arbitraire et inique, inutile à l’enchaînement des faits humains comme le supposait notre égoïsme à courte vue ? N’était-ce pas