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LE ROMAN D’HIPPOLYTE

jardin demeurassent aujourd’hui emprisonnés dans leur écurie.

Mais c’était l’heure de se rendre au port. Ils sortirent du beau jardin pour monter dans un joli tramway tout blanc qui les eut bientôt transportés au bord de l’Escaut. C’était marée haute. Sous le vol majestueux des mouettes, le fleuve rutilait, sillonné de canots automobiles, encombré de chalands aux voiles rapiécées, barbaresques, de yachts pavoisés au milieu desquels de gros steamers, qui entraient dans le port ou s’en allaient là-bas vers la haute mer, évoluaient avec prudence en faisant retentir leur profonde, voix de stentor.

Le travail venait de reprendre et, dans la lumière éclatante, c’était au ras des quais l’admirable orchestre des treuils, des engrenages, des wagons, des grues hydrauliques sur quoi brochaient le crissement des caisses, le cliquetis des chaînes, le fracas des tôles, le grincement des poulies, le sifflet de la vapeur, les cris des chefs d’équipe et des subrecargues, tout un ensemble de sons, de bruits, de cris dont rien n’égalait la grandiose harmonie.

Cette animation enfiévrée, ces nœuds de multiples besognes où chaque effort, dans le désordre apparent, allait à son but bien déterminé, comme fait une fourmilière occupée à ses œufs, remplissait Hippolyte d’une stupeur émerveillée. En face d’un tel spectacle, comme sa vie de rêveur lui semblait donc misérable, stupide !