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LE ROMAN D’HIPPOLYTE

froncer comme un jeune dieu, donnaient à sa physionomie un caractère de hardiesse et de résolution qu’atténuait à peine une abondante chevelure blonde, fine comme de la soie et rayonnante comme le soleil. Mais il fallait l’entendre parler. Car il « parlait » réellement, dans la stricte acception de ce mot, et ne se contentait pas d’éructer des sons grossiers et inintelligibles. On eût dit qu’au seuil même de la vie obscure qui avait précédé sa naissance, il avait écouté, compris et retenu pour toujours le clair langage et la mélodieuse prononciation de France. Certes, il eût été d’une fantaisie amusante de la part du Destin de décréter que ce petit Parisien s’exprimerait encore plus mal — au fait c’est impossible ! — aussi mal que ses compatriotes. Mais le Destin, si cruel pourtant, ne l’avait pas voulu dans son désir généreux d’épurer notre langue et notre accent en nous proposant un modèle doué d’un pouvoir de contagion bienfaisante qui, de proche en proche, devait assainir les bouches enfantines.

Oui, ce petit René parlait bien. Il parlait d’instinct, comme ces enfants du Luxembourg et des Tuileries que sa mère avait tant admirés lors de son amoureux voyage à Paris. Telle l’eau pure d’Aréthuse au milieu du fangeux Alphée, sa langue se conservait limpide dans notre marécage verbal. C’est grâce à lui, bien plus encore qu’aux efforts de son père et aux leçons de son oncle Hippolyte, que la langue et l’accent d’Alberke commençaient à s’alléger et à s’adoucir.