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Bien longtemps déjà que l’aspirant cabotin la guettait chaque jour derrière les rideaux de sa chambre d’où, avec ses très bons yeux, il contemplait la jeune fille trônant au comptoir à côté de sa mère. C’est pour elle qu’il déclamait du Corneille et du Racine devant le miroir de son lavabo, qu’il était tour à tour le Cid, ou Titus, se récompensant d’une tirade bien « gueulée » par un coup d’œil sur la charcuterie. Sans doute, arrivait-il parfois que Chimène ou Bérénice fût précisément occupée en ce moment à peser des oreilles de porc, à moins qu’elle ne renversât tout un lot de rouges et visqueuses nourritures dans le cabas d’une pratique au nez pointu… Qu’importe ! Tel est l’éclat souverain de la jeunesse et telle la dose d’illusion dont elle remplit les yeux amoureux qui la regardent, que le jeune homme ne recevait aucune secousse fâcheuse de cette réalité, dont le prosaïsme, d’ailleurs plantureux et sain, le replaçait agréablement de l’autre côté de la rampe…

Le petit Louis n’était pas un lourdaud ; même il ne manquait pas d’intelligence ni d’une certaine grâce physique ; nul doute qu’avec de l’étude, il ne devint quelque jour un assez passable Delaunay bruxellois.

À présent, quels étaient les sentiments de Mlle Emma à l’égard du Campéador ? Elle l’avait connu éphèbe et s’était fort amusée de voir pousser ses moustaches. Elle le regardait sans déplaisir, trouvant de la gentillesse à ses manières. Mais il ne lui faisait « piquer aucun fard » comme disent les petites ouvrières et n’avait pas