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PREMIÈRE SECTION.

l’homme soit ainsi frappé pour la première fois du contraste entre la forme qui change et la matière qui reste la même malgré les changements de forme. Puis, par généralisation, on dira de la pierre, du métal, à mesure que l’homme apprendra à les travailler, ce que tout à l’heure on disait du bois, et le mot de matière deviendra un terme générique et abstrait : materiam superabat opus. Bien plus tard on opposera, sous le nom de matières premières aux produits d’une industrie perfectionnée, ce quia déjà reçu des mains de l’homme une forme, un apprêt adapté à des fabrications ultérieures. Sans même attendre cette époque de civilisation très-avancée, l’on sera conduit à transporter par analogie, dans la langue des écoles, dans celle des tribunaux et des affaires, les idées et les mots de matière et de forme en les appliquant à des choses qui ne tombent plus sous les sens, ou qui n’y tombent que d’une manière détournée et indirecte, grâce à l’artifice dès allusions et des signes. Un rhéteur dictera la matière d’une amplification ; un tribunal sera dit incompétent à cause de la matière ; un théologien raisonnera sur la matière d’un sacrement, et ainsi de suite.

Nous ne nous occupons point ici de ces analogies éloignées, mais seulement de l’idée de matière en tant qu’elle s’applique aux choses corporelles et sensibles qui sont l’objet des sciences physico-chimiques. Revenons donc au sens archaïque et primitif du mot de matière, selon les Latins et les Grecs[1], en prenant pour

  1. On admet avec raison que la présence, dans des langues de même souche, de mots issus de la même racine et pris dans le même sens, témoigne d’un fonds commun d’habitudes et d’idées, antérieur à la séparation des idiomes. Tel n’est pas précisément le cas pour le