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et, en tout cas, la probabilité de la conséquence que nous en tirons ici sera évidemment subordonnée à la probabilité de l’hypothèse, dans l’état de nos connaissances. On a fait la remarque que le pelage des animaux prend fréquemment une teinte voisine de celle que revêt le sol même qui les porte, comme si la nature avait voulu, dans l’intérêt de la conservation des espèces, leur ménager les moyens de se dérober aux ennemis qui les poursuivent ou qui les guettent. Ainsi le pelage blanchit dans les contrées neigeuses, prend une teinte roussâtre dans les terres arables, et, au milieu du grand-désert d’Afrique, se rapproche singulièrement de la teinte même des sables qui sont le fond de ce triste paysage. Que le fait soit plus ou moins constant, qu’il puisse ou non s’expliquer par les lois de la physique, c’est ce que nous n’avons pas à examiner : toujours est-il qu’on ne peut point admettre que la chasse faite à l’animal par ses ennemis naturels et ses efforts pour s’y soustraire contribuent au changement de coloration du pelage ; de sorte que si l’harmonie signalée entre le changement de coloration et le besoin de protection existe véritablement, il faut le mettre sur le compte du hasard, ou l’imputer à la finalité qui gouverne les déterminations d’une cause supérieure. Ce ne peut être une de ces harmonies qui s’établissent d’elles-mêmes par des influences ou par des réactions qui tiennent à la solidarité des diverses parties d’un système.

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Du reste, les merveilles de l’organisation ne nous laissent pas manquer d’exemples, sinon aussi simples, du moins bien autrement péremptoires. Admettons pour un moment que l’impression du froid et le malaise qu’en ressent l’animal suffisent, à qui comprendrait bien le jeu des forces organiques, pour rendre raison du travail qui s’accomplit dans le bulbe générateur du poil et des modifications de taille ou de structure que le poil subit : à qui persuadera-t-on que l’œil se soit façonné et comme pétri sous l’impression de la lumière ; que les propriétés de cet agent physique et toute l’organisation si compliquée, si savante de l’appareil de la vision se soient mises d’accord d’elles-mêmes, à la longue, par une influence comparable à celle qui établit l’accord final entre deux horloges accrochées à un commun support ? Chacun comprend que, si le défaut d’excitation suffit pour expliquer l’atrophie de l’appareil de la vision chez les animaux