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est possible), les conditions de tant d’admirables phénomènes viendraient à défaillir. La raison, l’expérience nous instruisent assez qu’il y a là un concours de causes indépendantes, une harmonie non nécessaire (d’une nécessité mathématique), et pour l’explication de laquelle, comme on l’a déjà dit, il ne reste que deux hypothèses : celle du concours fortuit, et celle de la subordination de toutes les causes concourantes et aveugles à une cause qui poursuit une fin.

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Dans la multitude infinie des exemples d’harmonie que peuvent offrir les êtres organisés, soit qu’on les considère en eux-mêmes ou dans leurs rapports avec les agents extérieurs, prenons, comme un des moins compliqués, celui qui se tire des modifications du pelage des animaux, selon les climats. Nous ignorons absolument (car que n’ignorons-nous pas en ces matières !) comment le climat agit de manière à épaissir la fourrure de l’animal transporté dans les régions froides, et à l’éclaircir quand on le transporte au contraire vers les régions chaudes ; mais selon toute apparence, l’impression du froid et du chaud sur la sensibilité de l’animal, les troubles qui en peuvent résulter dans l’économie intérieure de son organisation, n’interviennent pas plus dans l’action de la température pour modifier le développement du derme et des poils, qu’ils n’interviennent dans les modifications que l’action de la lumière fait subir au système tégumentaire, au point de parer des plus vives couleurs la robe de l’animal qui vit sous les feux du tropique, et, au contraire, de rendre pâle et terne la robe du quadrupède ou de l’oiseau qui habite les contrées polaires. Le besoin d’une parure plus brillante n’est sans doute pas ce qui donne aux plumes du colibri leur éclat métallique ; bien probablement aussi, le malaise que le froid fait éprouver à l’animal qui s’achemine vers les régions glacées n’est pas ce qui provoque la croissance d’un poil plus laineux et plus abondant. Si ce jugement est fondé, il faut admettre un concours, soit fortuit, soit préétabli, entre les besoins de l’animal et l’action que le milieu ambiant exerce sur le développement du système tégumentaire. À la vérité, il serait téméraire d’affirmer absolument que l’impression du froid sur la sensibilité de l’animal n’est pas la cause immédiate d’un surcroît de développement dans le système tégumentaire ; mais nous n’avons besoin que d’un exemple, hypothétique si l’on veut ;