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sont là (on ne doit pas craindre de l’affirmer) des questions auxquelles il n’y a pas de solution mathématique ; et par conséquent encore la probabilité dont il s’agit, quoique toujours liée à la notion du hasard ou de l’indépendance des causes, n’est pas de celles qui se résolvent dans une énumération de chances, et qui tombent par là dans le domaine du calcul. Non-seulement on reliera par un trait continu les points déterminés exactement, en se laissant guider par un sentiment de la continuité des formes, lequel se refuse à une définition mathématique et rigoureuse, mais on prolongera la courbe en deçà et au delà des points extrêmes ; ce qui est un autre cas d’induction par approximation, auquel correspond une probabilité qui ne peut que s’affaiblir graduellement à mesure qu’on s’éloigne des derniers points de repère ; de sorte qu’il y aurait telles distances de ces points où l’induction paraîtrait à l’esprit le moins scrupuleux d’abord très-hasardée, ensuite tout à fait illégitime.

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Il n’y a pas de question de physique qui ne soit propre à nous fournir des exemples palpables de l’application de ces conceptions abstraites. Supposons qu’après avoir pris de l’air à la pression atmosphérique ordinaire, on soumette successivement la masse d’air enfermée dans un vase clos à des pressions de deux, de trois, de quatre,… de dix atmosphères : on trouvera que le volume de cette masse d’air est devenu successivement la moitié, le tiers, le quart,… le dixième de ce qu’il était primitivement. C’est en cela que consiste une loi importante, dont la découverte est attribuée à Mariotte ou à Boyle, et que nous connaissons sous le nom de loi de Mariotte. À la rigueur, les dix expériences indiquées ne démontreront pas cette loi pour des pressions intermédiaires : par exemple, pour la pression de deux atmosphères et demie. Le jugement que nous porterons en affirmant que cette loi subsiste pour toutes les valeurs de la pression d’une à dix atmosphères, comprend incomparablement plus qu’aucune expérience ne peut comprendre, puisqu’il porte sur une infinité de valeurs, tandis que le nombre des expériences est nécessairement fini. Or, ce jugement d’induction est rationnellement fondé sur ce que, dans l’expérience telle qu’on vient de l’indiquer, le choix des points de repère (ou des valeurs de la pression pour lesquelles la vérification expérimentale a eu lieu) doit être considéré comme