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EXAMEN DE SYSTÈMES PHILOSOPHIQUES.

contrainte de se servir de suppositions, non pour aller jusqu’à un premier principe, parce qu’elle ne peut remonter « au delà des suppositions qu’elle a faites, mais en employant des images terrestres et sensibles, qu’elle ne connaît que par l’opinion, et en supposant qu’elles sont claires et évidentes… De même que les géomètres partent de certaines suppositions, comme d’autant de principes certains et évidents, dont ils ne rendent raison ni à eux-mêmes ni aux autres, et, en partant de ces hypothèses, descendent par une chaîne non interrompue de proposition en proposition, jusqu’à celle qu’ils avaient dessein de démontrer ; le tout à la faveur de figures visibles, auxquelles ils appliquent leurs raisonnements, et qu’ils emploient comme autant d’images des vraies figures qu’on ne peut connaître que par la pensée[1]. » Après la science (ἐπιστήμη) et la connaissance théorique (διάνοια), comprises sous la rubrique commune d’intelligence, ou plutôt d’intellection (νόησις), viennent la croyance (πίστις) et la probabilité (εἰκασία), qui sont autant de degrés de l’opinion (δόξα). La physique surtout est du domaine de l’opinion, et Platon ne se fait faute de conjectures en pareille matière, où il lui suffit « de trouver, des raisons probables, et, en fait de probabilités, de ne rester au-dessous de qui que ce soit, ou même de le surpasser[2]. » Voilà, certes, une hiérarchie bien établie, un système clair et bien lié, et très naturellement suggéré par l’état des sciences à l’époque de Platon. Ce qu’il nomme la science, c’est ce que nous nommons la philosophie, tandis que la διάνοια est ce que tout le monde aujourd’hui appelle la science. Il est fondé à subordonner rationnellement la géométrie à la philosophie, comme

  1. « Τοῦτο τοίνυν νοητοῦ μὲν τὸ εἶδος ἔλεγον, ὑποθέσεσι δ’ ἀναγκαζομένην ψυχὴν χρῆσθαι περὶ τὴν ζήτησιν αὐτοῦ, οὐκ ἐπ’ ἀρχὴν ἰοῦσαν, ὡς οὐ δυναμένην τῶν ὑποθέσεων ἀνωτέρω ἐκβαίνειν, εἰκόσι δὲ χρωμένην αὐτοῖς τοῖς ὑπὸ τῶν κάτω ἀπεικασθεῖσι καὶ ἐκείνοις πρὸς ἐκεῖνα ὡς ἐναργέσι, δεδοξασμένοις τε καὶ τετιμηνοις… Ὅτι οἱ περὶ τὰς γεωμετρίας τε καὶ λογισμοὺς καὶ τὰ τοιαῦτα πραγματευόμενοι… ταῦτα μὲν ὡς εἰδότες, ποιησάμενοι ὑποθέσεις αὐτὰ, οὐδένα λόγον οὔτε αὑτοῖς οὔτε ἄλλοις ἔτι ἀκιοῦσι περὶ αὐτῶν διδόναι ὡς παντὶ φανερῶν, ἐκ τούτων δ’ ἀρχόμενοι τὰ λοιπὰ ἤδη διεξιόντες τελευτῶσιν ὁμολογουμένως ἐπὶ τοῦτο οὗ ἃν ἐπὶ σκέψιν ὁρμήσωσιν… Καὶ ὅτι τοῖς ὁρωμένοις εἴδεσιν προσχρῶνται, καὶ τοὺς λόγους περὶ αὐτῶν ποιοῦνται,… ζητοῦτές οὐκ ἂν ἄλλως ἴδοι τις ἢ τῇ διανοίᾳ. »
  2. « Τὸ δὲ κατ’ ἀρχὰς ῥηθὲν διαφυλάττων, τὴν τῶν εἰκότων λόγων δύναμιν, πείσομαι μηδενὸς ἧτον εἰκότα, μᾶλλον δὲ καὶ ἔμπροσθεν ἀπ’ ἀρχῆς περὶ ἑκάστων καὶ ξυμπάντων λέγειν. »