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536 CHAPITRE XXIII.

connaissons les personnes et les choses dont l’imagination nous reproduit les fantômes ; que les facultés de comparer, de juger, de se ressouvenir, de prévoir entrent en exercice à la suite de ces perceptions trompeuses. Nous voyons bien que, par le passage de l’état de sommeil à l’état de veille, ces fonctions s’accomplissent avec plus de régularité ou de coordination, mais non qu’elles changent brusquement de nature ; et nous avons tout motif de croire qu’il en est encore de même lorsque l’enfant, par une sorte de réveil ou plutôt d’éveil progressif, entre peu à peu en jouissance des facultés de la vie intellectuelle. Il est aussi contraire à une induction légitime de refuser aux animaux toute connaissance et même tout sentiment de leur individualité, que de leur accorder une connaissance et une personnalité pareilles aux nôtres. La personne humaine est le mode le plus élevé de la conscience du moi, ou du moins nous n’avons pas l’idée d’un mode plus élevé ; mais cette conscience a ses degrés et son évolution progressive comme les autres phénomènes de la vie.

364. — Si une ligne de démarcation tranchée ne peut pas plus être admise là où la placent Buffon et Maine de Biran que là où la plaçait Descartes, il faut reconnaître que la pensée des premiers tend à exprimer bien plus fidèlement la hiérarchie naturelle des phénomènes et des fonctions, et la vraie distinction que le Créateur a mise entre l’humanité et l’animalité : distinction d’un tout autre ordre que les différences qui séparent une espèce animale d’une autre, et correspondant à des destinées qui n’ont rien de comparable. La raison dit en effet qu’il y a deux étages dans la série des phénomènes que l’on peut qualifier tous de psychologiques, en ce sens qu’ils affectent tous notre sens intime : un étage inférieur, comprenant des affections auxquelles l’animalité participe, ou, si l’on veut, auxquelles l’homme est sujet en tant qu’il participe à la nature animale ; et un étage supérieur, comprenant toute la partie de la série à laquelle il est constant que l’animalité reste étrangère. Ceci est un fait qu’aucune théorie ne peut renverser, et une conception théorique sera préférable par cela même qu’elle fera mieux ressortir un fait si capital ; quoique d’ailleurs la séparation des étages, bien manifeste lorsque l’on embrasse d’un coup d’œil l’ensemble des assises dont ils se composent, perde de sa netteté vers la région