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534 CHAPITRE XXIIl.

lyse scientifique, jusqu’aux vraies causes des phénomènes, de manière à les isoler et à faire à chacune d’elles sa juste part d’action, ils réputent pour explication du phénomène la description, entre les limites de l’observation possible, des circonstances dans lesquelles le phénomène se produit ; et ils entendent par causes d’un phénomène d’autres phénomènes observables, en l’absence desquels celui-là n’aurait pas lieu.

Cette interprétation admise, la formule de Condillac ne paraît plus être que la juste expression de la continuité qui règne dans la série des phénomènes psychologiques engendrés les uns des autres, procédant les uns des autres par un travail incessant de l’énergie vitale et créatrice. Aussi, lorsque au condillacisme pur ont succédé des doctrines mitigées, dans lesquelles on a voulu donner plus de part à l’activité de l’esprit, la difficulté ou plutôt l’impossibilité de préciser le point de partage a mis dans l’exposé de ces doctrines, où l’on vise à l’explication et non plus seulement à la description des phénomènes, une indécision que l’art du style peut dissimuler parfois, mais que la critique ne manque pas de faire reparaître dès qu’elle creuse le sujet.

362. — En fondant, pour ainsi dire, dans la sensation toute la suite des affections dont est capable l’âme humaine, Condillac avait maintenu la séparation profonde, tracée par les Cartésiens, entre les phénomènes matériels, tous également réductibles, suivant eux, au pur mécanisme, et les phénomènes spirituels, tous également incompatibles avec les propriétés essentielles de la matière, depuis la sensation la plus obtuse jusqu’aux actes les plus élevés de l’intelligence et de la liberté. Il combattait Buffon lorsque ce grand écrivain, peintre trop vrai de la nature pour tomber dans l’absurde hypothèse de l’automatisme cartésien, tout en refusant aux animaux l’âme, ce principe divin de la liberté et de la raison, leur accordait les affections de la sensibilité, comme compatibles avec une nature corporelle. L’opinion de Buffon était une protestation du bon sens, soutenu de la science et du génie, contre le paradoxe où la prédilection pour les constructions systématiques et les spéculations abstraites avait fait tomber l’école cartésienne. C’était un retour à l’idée admise dans l’antiquité, d’une âme

1 « Nil nalura portionibus parit. » Plin., Hisl. nal., xvii, 22.