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524 CHAPITRE XXIII.

de cette illusion des sens, à laquelle assurément la raison n’a aucune part. Les diamètres apparents des étoiles fixes semblent se rapetisser dans une lunette à fort grossissement : illusion qu’on explique par cette circonstance, que le mouvement apparent des étoiles, dans le champ de la lunette, de- vient d’autant plus rapide ; et cette explication cadre avec la remarque, que chacun a pu faire, du rapetissement apparent des maisons, des arbres et des autres objets qui bordent une ligne de fer sur laquelle le voyageur est emporté d’un mouvement très rapide. Or, on ne constate pas que l’habitude des observations astronomiques ou celle des voyages en chemin de fer nuisent à la persistance de l’une et de l’autre illusion. Dans l’expérience des deux doigts croisés sur une boule mobile, la fréquente répétition de l’expérience, jointe à l’intervention du sens de la vue, ne détruisent pas l’illusion du sens du tact, bien qu’elles la rectifient. S’il y a dans les perceptions sensibles des illusions persistantes, par opposition à d’autres illusions que le concours des autres sens et l’habitude détruisent, il faut bien que les sensations de l’homme, comme celles des animaux, impliquent un jugement d’une autre nature que le jugement supérieur dont l’animal est certainement incapable, et par lequel notre raison redresse ces erreurs persistantes.

354. — Mais ce sont surtout les mouvements volontaires, et en général les décisions rapides de la volonté, qui impliquent de la manière la plus merveilleuse, sinon une série de jugements et de raisonnements, dans le sens qu’on attache à ces termes en logique, du moins un travail continu de l’intelligence qui lui fait percevoir avec rapidité des rapports de convenance ou de disconvenance, tout aussi compliqués, souvent même bien plus compliqués que ceux que nous ne parvenons à saisir qu’avec lenteur dans le travail de la déduction logique. Tous les jeux d’adresse et de calcul, tous les exercices du corps et de l’esprit en offrent d’étonnants exemples. Pour nous former une théorie scientifique des perceptions et des jugements de cette nature, il nous plaît d’imaginer que l’acte s’est décomposé originairement en moments distincts, et qu’ensuite l’habitude a progressivement diminué les intervalles de temps qui les séparent, jusqu’au point d’en effacer la trace dans la conscience. C’est un artifice de même genre que