Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/535

Cette page n’a pas encore été corrigée

DE LA PSYCHOLOGIE. 523

qu’ils devraient être selon les explications systématiques des psychologues, pour établir le passage de la sensation aux jugements sur les distances, les formes et les autres propriétés des corps. Les mouvements du petit de l’oiseau, qui trotte et cherche sa nourriture en venant de briser sa coquille, ne doivent pas être assimilés aux mouvements de l’enfant nouveau-né qui cherche le sein de sa nourrice : ceux-ci sont instinctifs et non accompagnés de perception, ou accompagnés seulement d’une perception obscure des objets extérieurs ; ceux-là supposent une perception claire et distincte des distances et des formes, telle à peu près à ce début que l’animal doit la conserver pendant toute sa vie, et telle que l’enfant ne l’acquiert que longtemps après sa naissance.

353. — S’il n’y avait pas, même pour nous, des jugements primitivement spontanés et que la nature a intimement unis à la sensation, sans que le lien puisse être logiquement expliqué ; si la spontanéité apparente de ces jugements n’était que le résultat de l’éducation et de l’habitude, il faudrait qu’une autre éducation et d’autres habitudes eussent le pouvoir de nous en défaire, après que les progrès de notre raison nous ont familiarisés avec l’idée que de tels jugements sont erronés. Or, c’est le contraire que l’on observe, et il n’est pas permis de confondre les illusions que le jugement détruit avec celles que le jugement ou la raison redressent, mais ne détruisent pas. Il se peut que, conformément au récit de quelques auteurs, un aveugle-né, nouvellement opéré de la cataracte, croie d’abord toucher les murailles de sa chambre ; que tous les reliefs lui semblent plats ; que plus tard, et lorsque ces illusions sont déjà dissipées, il voie de plus en plus petits et disposés suivant deux lignes convergentes les arbres d’une allée qui nous paraissent d’égale hauteur et rangés sur deux lignes parallèles, après que nous nous sommes familiarisés avec les lois de la perspective. Mais, outre ces illusions que l’habitude détruit, il y en a de persistantes. L’astronome de profession voit, comme le vulgaire, le ciel affecter la forme d’une voûte surbaissée, la lune comme un disque plat, plus grand à l’horizon qu’au zénith. Quand on entre dans un panorama, il faut un certain temps pour que l’illusion se produise, et l’on ne remarque pas que l’habitude de fréquenter les panoramas allonge ou abrège le temps voulu pour l’établissement