sommes parfaitement autorisés à n’en point tenir compte. Il n’est pas impossible qu’un événement arrivé à la Chine ou au Japon ait une certaine influence sur des faits qui doivent se passer à Paris ou à Londres ; mais, en général, il est bien certain que la manière dont un bourgeois de Paris arrange sa journée n’est nullement influencée par ce qui se passe actuellement dans telle ville de Chine où jamais les Européens n’ont pénétré. Il y a là comme deux petits mondes, dans chacun desquels on peut observer un enchaînement de causes et d’effets qui se développent simultanément, sans avoir entre eux de connexion, et sans exercer les uns sur les autres d’influence appréciable. Les événements amenés par la combinaison ou la rencontre d’autres événements qui appartiennent à des séries indépendantes les unes des autres, sont ce qu’on nomme des événements fortuits, ou des résultats du hasard. Quelques exemples serviront à éclaircir et à fixer cette notion fondamentale.
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Il prend au bourgeois de Paris la fantaisie de faire une partie de campagne, et il monte sur un chemin de fer pour se rendre à sa destination. Le train éprouve un accident dont le pauvre voyageur est la victime, et la victime fortuite, car les causes qui ont amené l’accident ne tiennent pas à la présence de ce voyageur : elles auraient eu leur cours de la même manière lors même que le voyageur se serait déterminé, par suite d’autres influences, ou de changements survenus dans son monde, à lui, à prendre une autre route ou à attendre un autre train. Que si l’on suppose, au contraire, qu’un motif de curiosité, agissant de la même manière sur un grand nombre de personnes, amène ce jour-là et à cette heure-là une affluence extraordinaire de voyageurs, il pourra bien se faire que le service du chemin de fer en soit dérangé, et que les embarras du service soient la cause déterminante de l’accident. Des séries de causes et d’effets, primitivement indépendantes les unes des autres, cesseront de l’être, et il faudra au contraire reconnaître entre elles un lien étroit de solidarité. Un homme qui ne sait pas lire prend un à un des caractères d’imprimerie entassés sans ordre. Ces caractères, dans l’ordre où il les amène, donnent le mot amitié. C’est une rencontre fortuite ou un résultat du hasard, car il n’y a nulle liaison entre les causes qui ont dirigé successivement les doigts de cet