Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/478

Cette page n’a pas encore été corrigée

466 CHAPITRE XX.

phe, pour peindre sa pensée, la ressource du signe graphique et sensible ; il est comme ce voyageur à qui manquent les ressources du dessin, et qui doit y suppléer par la force de la mémoire et de l’imagination et par le pittoresque du style. Il est enfin, comme le philosophe, sans cesse assujetti à employer un langage métaphorique dont sans cesse il reconnaît l’insuffisance (211).

Aussi la composition historique tient-elle plus de l’art que de la science, lors même que l’historien se propose bien moins de plaire et d’émouvoir par l’intérêt de ses récits, que de satisfaire notre intelligence dans le désir qu’elle éprouve de connaître et de comprendre. L’historien, même philosophe, ou plutôt par cela même qu’il est ou qu’il veut être philosophe, a besoin, comme le peintre philosophe de la nature, de ces dons de l’imagination, qu’on suspecte à bon droit lorsqu’il s’agit d’une œuvre purement scientifique ; et suivant la juste expression de l’un des maîtres de la critique littéraire, « on peut dire en ce sens qu’il a a besoin d’être poète, non seulement pour être éloquent, mais pour être vrai 1 ». De telle sorte que l’histoire, dont nous venons de voir les connexions avec la science et la philosophie, en a pareillement avec la poésie et l’art, et que par là les trois membres de la division tripartite de Bacon (301) tendent à s’unir, sans toutefois se confondre.

Au reste, si l’historien est artiste, et jusqu’à un certain point poète, par cela seul qu’il a une physionomie à saisir, et que c’est en toutes choses une œuvre d’art, non de science, que (le saisir et de rendre une physionomie (193), il est clair que sa composition devra participer à un bien plus haut degré des caractères de la composition poétique, lorsque l’intérêt dramatique du récit, la grandeur (les actions, la forte unité du sujet, le placeront, pour ainsi dire, malgré qu’il en ait, sur le trépied du poète. Aussi Voltaire a—t—il dit : « Il faut une exposition, un nœud et un dénouement dans une histoire comme dans une tragédie 2 » ; sentence qu’on ne doit pas trop généraliser, puisque, dans les choses qui n’ont pas une lien nécessaire, et qui comportent au contraire un perfectionnement continu, comme les sciences, la civilisation, il peut y avoir une forte unité historique sans nœud ni dénouement. Mais au moins l’on peut

1 M. VILLEMAIN, Tableau de la littérature au XVIIIe siècle, leçon XXIX. 2 Lettre au président Hénault, du 8 janvier 1752.