Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/473

Cette page n’a pas encore été corrigée

DE L’HISTOIRE ET DE LA SCIENCE. 461 phénomène dont toutes les phases se succèdent et s’enchaî- nent nécessairement selon des lois que font connaître le raison- nement ou l’expérience, est du domaine de la science et non de l’histoire. La science décrit la succession des éclipses, la pro- pagation d’une onde sonore, le cours d’une maladie qui passe par des phases réguhères, et le nom d’histoire ne peut s’appli- quer qu’abusivement à de semblables descriptions ; tandis que l’histoire intervient nécessairement (lorsque à défaut de rensei- gnements historiques il y a lacune inévitable dans nos con- naissances) là où nous voyons, non seulement que la théorie, dans son état d’imperfection actuelle, ne suffit pas pour expli- quer les phénomènes, mais que même la théorie la plus par- faite exigerait encore le concours d’une donnée historique. S’il n’y a pas d’histoire proprement dite là où tous les évé- nements dérivent nécessairement et régulièrement les uns des autres, en vertu des lois constantes par lesquelles le système est régi, et sans concours accidentel d’influences étrangères au système que la théorie embrasse, il n’y a pas non plus d’his- toire, dans le vrai sens du mot, pour une suite d’événements qui seraient sans aucune liaison entre eux. Ainsi les registres d’une loterie publique pourraient offrir une succession de coups singuliers, quelquefois piquants pour la curiosité, mais ne con- stitueraient pas une histoire : car les coups se succèdent sans s’enchaîner, sans que les premiers exercent aucune influence sur ceux qui les suivent, à peu près comme dans ces annales où les prêtres de l’antiquité avaient soin de consigner les mon- struosités et les prodiges à mesure qu’ils venaient à leur con- naissance. Tous ces événements merveilleux, sans liaison les uns avec les autres, ne peuvent former une histoire, dans le vrai sens du mot, quoiqu’ils se succèdent suivant un certain ordre chronologique. Au contraire, à un jeu comme celui de trictrac, où chaque coup de dés, amené par des circonstances fortuites, influe néanmoins sur les résultats des coups suivants ; et à plus forte raison au jeu d’échecs, où la détermination réfléchie du joueur se substitue aux hasards du dé, de manière pourtant à ce que les idées du joueur, en se croisant avec celles de l’adversaire, donnent lieu à une multitude de rencontres accidentelles, on voit poindre les conditions d’un enchaînement historique. Le récit d’une partie de trictrac ou d’échecs, si l’on s’avisait