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mais des règles de droit, de morale, et même des règles de goût ; car c’est évidemment en vertu de ce principe que le goût est choqué de ce qui trouble, sans motif suffisant, la symétrie d’une ordonnance. On n’est donc pas autorisé à donner à l’axiome de Leibnitz le nom de principe métaphysique, en ce sens qu’il servirait seulement à diriger l’esprit humain dans les recherches qui portent sur ce qu’on appelle la métaphysique, par opposition aux sciences qui ont pour objet le monde physique et la nature morale de l’homme ; mais on peut très-bien le qualifier de principe philosophique, en tant qu’il présuppose, dans la forme négative de son énoncé, l’idée positive de la raison des choses, laquelle est l’origine de toute philosophie. D’un autre côté, il nous paraît évident que la philosophie, non plus que les mathématiques, la morale ou l’esthétique, ne saurait être renfermée dans les limites étroites de l’application d’une règle négative telle que la maxime leibnitzienne. De même qu’il y a dans l’esprit des facultés pour juger, en l’absence de toute règle ou formule précise, de la bonté d’une action morale, de la beauté d’une œuvre d’art, soit absolument, soit par comparaison avec d’autres actes ou d’autres œuvres, ainsi il y a en nous des facultés pour saisir les analogies, les inductions, les connexions des choses, et les motifs de préférence entre telles et telles explications ou coordinations rationnelles. Au défaut de démonstrations que la nature des choses et l’organisation de nos instruments logiques ne comportent pas dans la plupart des circonstances, il y a des appréciations, des jugements fondés sur des probabilités qui ont souvent pour le bon sens la même valeur qu’une preuve logique ; et de là l’obligation où nous sommes d’étudier soigneusement, avant toute autre chose, la théorie des probabilités et des jugements probables. Nous y consacrerons les deux chapitres suivants.