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primitif et rationnellement irréductible, ou dont il n’y a pas à chercher la raison.

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On entend souvent dire que deux faits ou deux ordres de faits réagissent l’un sur l’autre, de manière à ce que chacun d’eux joue par rapport à l’autre le double rôle de cause et d’effet. Mais il est clair qu’alors les termes de cause et d’effet ne sont plus pris dans leur sens propre, puisque l’esprit conçoit nécessairement la chaîne des causes et des effets qui se succèdent dans le temps (et dont chaque terme ou anneau joue le rôle d’effet par rapport aux termes antécédents, le rôle de cause par rapport aux termes subséquents) comme constituant une série du genre de celles que les géomètres nomment linéaires, parce que la manière la plus simple de se les représenter est d’imaginer des points alignés les uns à la suite des autres. La série linéaire des causes et des effets ne saurait rentrer sur elle-même ; et au contraire nous la concevons prolongée indéfiniment, dans un sens et dans l’autre, aussi loin que nos observations peuvent s’étendre. Mais rien ne nous autorise à attribuer toujours la même simplicité à l’idée de l’ordre et de la liaison entre les choses, non plus à titre de causes et d’effets proprement dits, mais en tant qu’elles rendent raison les unes des autres, ou qu’elles se déterminent et s’expliquent mutuellement. Par exemple, les lois et les institutions d’un peuple, quand elles sont destinées à durer, doivent avoir leur raison dans ses mœurs et dans la tournure de son génie ; et d’un autre côté, les mœurs d’un peuple sont jusqu’à un certain point façonnées par les lois et les institutions qui les régissent. Si des causes perturbatrices n’ont point mis violemment un trop grand désaccord entre les lois et les mœurs, elles réagissent les unes sur les autres, de manière à tendre vers un état final et harmonique, dans lequel les traces des impulsions originelles et des oscillations consécutives