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ont opéré le transport de tel germe qui s’est développé, la migration de tel couple qui s’est multiplié : car ces causes n’ont pas plus de valeur aux yeux du philosophe que celles qui ont déterminé dans la suite des temps le transport d’une multitude d’animaux qui ont péri sans pouvoir multiplier leur espèce ; et il suffit de concevoir d’une manière générale que le laps du temps, en multipliant les combinaisons fortuites, a dû amener celles qui étaient susceptibles de produire les résultats stables et permanents sur lesquels portent nos observations. En conséquence, l’objet que se propose le naturaliste philosophe, c’est précisément de mettre en relief les conditions d’harmonie qui rendent raison de l’acclimatement des espèces, de l’équilibre final entre les causes de propagation et de destruction, et en un mot de la permanence des résultats observés. Que s’il répugne à la raison de se contenter d’une pareille explication pour toutes les merveilles que le monde nous présente, et s’il y a des ouvrages où se montre d’une manière éclatante l’intelligence de l’ouvrier qui adapte les moyens à la fin qu’il a résolu d’atteindre, il faudra bien encore que le philosophe qui veut pénétrer dans l’intelligence de ces merveilles de la nature ait en vue la fin de l’œuvre, les conditions de l’ensemble, qui contiennent la véritable raison des rapports harmoniques entre les diverses parties, plutôt que les causes secondaires et les procédés de détail dont la sagesse providentielle a disposé, comme nous disposons d’un instrument, d’une force aveugle ou d’un agent servile, pour l’exécution des plans que notre esprit a conçus. Aussi, tous les naturalistes, à quelque secte philosophique qu’ils appartiennent, qu’ils soient ou non partisans des causes finales dans le sens vulgaire du mot, s’accordent, par une considération ou par une autre, à chercher la raison des principaux phénomènes de l’organisme dans la fin même de l’organisme ; et c’est à la faveur de cette idée régulatrice, de ce fil conducteur (comme s’exprime Kant), qu’on est arrivé à une connaissance de plus en plus approfondie des lois de l’organisation.

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L’idée que nous nous formons de la relation entre les causes efficientes et les effets qu’elles produisent implique l’idée de phénomènes qui se succèdent dans l’ordre du temps. Mais, au contraire, selon ce qui vient d’être exposé, l’idée