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les sensations proprement dites, c’est-à-dire, par celles que recueillent les organes spéciaux des sens.

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Nous justifierons pleinement notre assertion si nous montrons que l’idée de la raison des choses, prise avec la généralité qu’elle comporte, est souvent en opposition avec l’idée de cause efficiente, telle que l’esprit humain la tire de la conscience de son activité. Lorsqu’au jeu de croix ou pile une longue suite de coups montre l’inégalité des chances en faveur de l’apparition de l’une et de l’autre des faces de la pièce projetée, cette inégalité accuse dans la pièce un défaut de symétrie ou une irrégularité de structure. Le fait observé, consistant dans la plus fréquente apparition d’une des faces, a pour raison l’irrégularité de structure ; mais cette raison ne ressemble d’ailleurs en rien à une cause proprement dite ou à une cause efficiente, bien que, dans le langage ordinaire, on n’hésite pas à dire que l’irrégularité de structure est la cause de la plus fréquente apparition d’une des faces, ou qu’elle agit pour favoriser l’apparition de cette face. Toutes les molécules de la masse projetée ne jouent en réalité qu’un rôle passif, et l’on ne peut pas, dans la rigueur du langage philosophique, attribuer une action, une force ou une vertu efficiente à la structure intime du système moléculaire, à la loi de distribution de la masse ou à la forme extérieure du corps. À chaque jet l’apparition d’une face déterminée est le résultat de causes actives, dont le mode d’action est variable, et irrégulièrement variable, d’un jet à l’autre : ce qu’on exprime en les qualifiant de causes fortuites, et en disant qu’à chaque coup l’apparition d’une face déterminée est un effet du hasard. La répétition des coups en grand nombre a pour objet (comme nous l’expliquerons bientôt) d’arriver à un résultat sensiblement affranchi de l’influence du hasard ou des causes