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tique, adaptée par Berzélius à des théories chimiques plus modernes, en offrent d’autres applications très remarquables. Aussi, la chimie, dans sa forme actuelle, est la plus simple, la mieux définie des sciences naturelles. Elle ne traite des corps pondérables qu’en tant qu’ils sont réductibles à un petit nombre de radicaux fixes, déterminés, indestructibles et inaltérables. Elle combine ces radicaux en proportions pondérables pareillement fixes et déterminées. Tous les rapports, en un mot, dont l’étude et la coordination systématique sont l’objet des spéculations du chimiste, consistent en combinaisons entre des éléments discontinus ou traités comme tels.

Mais, si l’on passe à l’étude des phénomènes infiniment variés que la vie produit chez les êtres organisés, plus de discontinuité, plus de réduction possible à des combinaisons systématiques ; ou du moins de telles combinaisons ne se présentent qu’exceptionnellement et en quelque sorte par accident. Aussi, plus de théorèmes absolus, plus de méthodes précises et rigoureuses, plus d’invariabilité dans la valeur des éléments du discours, lorsqu’ils doivent s’approprier à l’expression des faits de cet ordre. Et il en est de même, à plus forte raison, quand nous passons de la description des phénomènes de la vie organique et animale à celle des phénomènes de la vie morale et intellectuelle, ou à l’étude des rapports qui naissent de la vie sociale.

215. — D’ailleurs il faut reconnaître que souvent les mots conservent, même dans le contexte du discours, tout ou partie de l’indétermination qu’ils auraient isolément, sans qu’on puisse dire qu’il en résulte une imperfection du langage. Ne sait-on pas que la puissance de la langue algébrique est due en partie à l’indétermination graduée des symboles qu’elle emploie, et qu’à la faveur de cette indétermination l’ordre des difficultés se trouve souvent interverti d’une manière avantageuse ? Les géomètres sont dans l’usage de désigner par la lettre grecque π le rapport de la circonférence d’un cercle à son diamètre, rapport que l’on ne peut pas exprimer exactement en chiffres, quoiqu’on approche de la vraie valeur d’aussi près qu’on le veut. Ce signe abréviatif a déjà cela de commode, qu’il dispense d’écrire une assez longue série de chiffres dans