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plus spécialement à l’expression de tel ordre d’images, de passions et d’idées. De là les difficultés et souvent l’impossibilité des traductions, aussi bien pour des passages de métaphysique que pour des morceaux de poésie. Ce qui agrandirait et perfectionnerait nos facultés intellectuelles, en multipliant et en variant les moyens d’expression et de transmission de la pensée, ce serait, s’il était possible, de disposer à notre gré, et selon le besoin du moment, de toutes les langues parlées, et non de trouver construite cette langue systématique qui, dans la plupart des cas, serait le plus imparfait des instruments.

Les langues, par la manière dont elles se sont formées, par leur lente croissance et leurs liens de parenté, par les périodes de maturité et de décadence qu’elles traversent, sont, de toutes les œuvres de l’homme, ce qui se rapproche le plus des œuvres de la nature. Elles participent en quelque sorte à la vie d’une race ou d’une nation. Entre les langues faites de la sorte et la langue systématique dont le plan a occupé les philosophes, il y a, pour ainsi dire, la même différence qu’entre l’œil et un instrument d’optique, entre l’organe de la voix et un clavecin, entre un animal et une machine. Certes, lorsqu’il s’agira, comme dans le travail manufacturier, de produire un effet déterminé, précis, mesurable, susceptible de division ou de décomposition en un système d’opérations distinctes, le travail de la machine remplacera avec avantage le travail, non seulement des animaux, mais de l’homme lui-même ¹. Au contraire, jamais le plus ingénieux machiniste ne remplacera par un automate, par un système d’engins et de rouages, le chien du chasseur ; et en général, dès qu’il faut se prêter à des nuances, à des modifications continues, quelles combinaisons du génie humain pourraient soutenir le parallèle avec les créations de la nature ?

214.— Outre l’algèbre, qui est, comme tout le monde le reconnaît, la plus vaste application des principes sur lesquels reposerait une caractéristique universelle, la nomenclature chimique dont Guyton et Lavoisier ont jeté les bases, et la notation, plutôt idéographique que phoné-

¹ Smith, De la richesse des nations, liv. v, chap. 1.