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ont tant d’intérêt pour le philosophe, ont dû souvent être faites ; mais on ne les trouvera nulle part plus ingénieusement exprimées que dans l’élégante préface mise, au nom de l’Académie française, en tête de la sixième édition de son Dictionnaire. Peut-être nous siérait-il mal d’insister davantage sur des choses qui semblent exiger une délicatesse de sensibilité, une culture du goût littéraire peu compatibles avec la sécheresse de nos études habituelles et avec la rigueur didactique dont nous voudrions nous rapprocher dans cet ouvrage, autant que le sujet le comporte.

213 — On peut du moins, par ce qui précède, voir ce qu’il faut penser du projet d’une langue philosophique et universelle, auquel ont songé les plus grands génies du XVIIe siècle, Bacon, Descartes, Pascal, mais que Leibniz surtout avait médité, d’après son propre témoignage, au point de s’occuper sérieusement des moyens d’exécution, ainsi que l’indiquent des passages déjà bien des fois cités ¹. Cette langue philosophique ou cette caractéristique universelle (comme l’appelle Leibniz), fondée sur un catalogue de toutes les idées simples, représentées chacune par un signe ou par un numéro d’ordre, aurait eu cet avantage sur toutes les langues vulgaires, de n’employer que des éléments doués de valeurs fixes, déterminées, invariables ; et par sa per-

1 Voyez Bacon, De augm. scient, lib. vi, cl ; — Descartes, Lettre à Mersenne, en date du 20 novembre 1629, T. VI, p. 66, de l’édit. de M. Cousin, et T. IV, p. 128, de celle de M. Gamier ; — Leibniz, Historia et commendatio linguas charactericse universalis, quae simul sit ars inveniendi et judicandi, dans le recueil de Raspe. — On peut consulter, pour d’autres citations, deux articles insérés au Moniteur, n° des 23 août 1837 et 12 février 1838, et ce que Reid dit de la tentative de Wilkins, T. V p. 199 de la traduction française de ses Œuvres.

Longtemps après avoir rédigé ce chapitre et celui qui précède, et même longtemps après en avoir communiqué la rédaction à des personnes connues, nous avons trouvé dans un écrit de M. Bordas-Demoulin, intitulé Théorie de la substance, et mis à la suite de sa monographie du Cartésianisme (Paris, 1843, 2 vol. in-8°), des idées qui ont, à plusieurs égards, une grande ressemblance avec les nôtres. Il prouve par les mêmes raisons (T. II, p. 416) que la construction d’une caractéristique universelle est chimérique : car ce qu’il appelle idées de perfection, par opposition aux idées de grandeur, ce sont évidemment les idées susceptibles de ce mode de continuité que nous croyons devoir nommer continuité qualitative. En nous félicitant de tomber d’accord sur quelques points importants avec cet esprit distingué, nous ferons remarquer que notre doctrine diffère d’ailleurs complètement, par ses principes et par ses développements, de celle de M. Bordas-Demoulin.