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à la netteté de l’expression et à la clarté du discours. 212. — S’il en est de la poésie, de l’éloquence, de la musique, des arts plastiques, comme de ces sœurs dont parle le poète :

faciès non omnibus una,

Nec diversa tamen…,

il faut aussi remarquer avec attention tout ce qu’il y a de singulier dans les caractères distinctifs de l’art de la parole. Si la chimie fournit au peintre de nouvelles couleurs, plus vives ou plus durables ; si l’invention de nouveaux instruments permet à l’harmoniste d’imaginer de nouveaux effets d’orchestre, qu’est-ce pour le génie de l’artiste que cet accroissement de richesses matérielles, auprès des ressources que puisent le poète, l’orateur, l’écrivain, dans une langue plus harmonieuse, plus riche ou plus flexible ? L’artiste, comme l’écrivain, s’est formé à l’école d’un maître ; il en propage les traditions et s’inspire des œuvres de ses devanciers : mais il dispose d’une matière brute en quelque sorte et inorganique, auprès de cet admirable organe que la vie, la pensée pénètrent de toutes parts, et qu’on nomme une langue. Il faut que le génie du poète ou celui de l’écrivain gouverne cet organe, cette machine vivante ; qu’il la prenne telle que le destin la lui offre, dans son enfance ou dans sa caducité, ou bien qu’il sache tirer un heureux parti de sa jeunesse ou de sa maturité vigoureuse. Non seulement le vocabulaire de la langue s’étend ou se resserre, elle perd ou acquiert des idiotismes, sa règle syntaxique s’épure ou se corrompt ; mais encore les mots sont comme des pièces de monnaie dont l’empreinte s’efface, qui s’usent et se déprécient par la circulation : leur sens propre tombe en oubli ; on perd la trace des analogies qui ont successivement amené les diverses acceptions figurées ; il n’y a plus entre les idées et les images, entre les pensées et leur expression sensible, entre la construction matérielle des éléments du langage et leur valeur représentative, cet accord que la raison réclame. Le néologisme et l’archaïsme, les alliances bizarres de mots, les tournures forcées et affectées, naissent de la recherche d’une énergie d’expression que la langue, à son état de pureté, semble avoir perdue par un trop long usage. Ces remarques, qui