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sont les plus simples, les plus fondamentaux, ceux dont l’image a le plus de clarté représentative entre tous les phénomènes soumis à la loi de continuité, et que les obstacles à l’expression directe de nos pensées par le langage proviennent surtout de la discontinuité des signes vocaux. Nous les choisissons, d’autre part, parmi les phénomènes intérieurs de désir, de volonté, de passion, que nous n’imaginons point à la manière des objets extérieurs perçus par les sens, mais dont nous avons le sentiment intime. De cette façon, le discours n’est plus seulement un système de signes spéciaux, une caractéristique plus vaste que la langue algébrique, mais destinée à des fonctions analogues ; c’est plutôt un cadre destiné à rassembler les signes les plus divers, non pas directement et en quelque sorte personnellement, mais par voie de représentation, au moyen des signes vocaux qui les rappellent.

Il semble que l’on se soit rendu compte de cette propriété du langage lorsqu’on a réservé par excellence le nom de poésie à l’art de peindre la nature et d’émouvoir les passions à l’aide d’un langage que ses formes ennoblies distinguent de la parole vulgaire ; quoique la conception poétique soit l’essence et comme l’âme de tous les arts, et qu’il y ait par là entre tous les arts une étroite fraternité, malgré la diversité des procédés physiques d’exécution, malgré la variété ou plutôt l’hétérogénéité des étoffes sensibles que revêt la pensée poétique. Mais s’il est vrai, comme on en tombe d’accord, que l’artiste peut se proposer un autre but que celui de plaire ou d’émouvoir ; qu’il peut être animé d’une pensée philosophique, la reproduire dans ses œuvres sous des formes et par des moyens d’expression qui lui sont propres, il faut bien reconnaître à plus forte raison que les formes poétiques et figurées du langage sont souvent un moyen et parfois l’unique moyen d’expression pour la pensée philosophique. C’est ainsi que la philosophie s’allie à la poésie et à l’art, quand d’autre part, comme nous l’expliquerons, elle s’unit étroitement au système des connaissances scientifiques.

Au reste, la science la plus sévère a aussi son langage poétique et figuré, des images dont on ne pourrait lui interdire l’emploi sans nuire essentiellement à la concision,