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DU LANGAGE


font tableau, c’est-à-dire rétablissent la continuité, telle qu’elle pourrait se trouver dans cette sorte d’image, la plus sensible de toutes, et à laquelle par suite nous aimons à comparer toutes les autres. Ne nous étonnons donc pas de la prééminence du langage oral, non seulement lorsqu’il s’agit de décrire, de narrer, d’émouvoir ; mais lors même que, dans la bouche d’un professeur habile, il est destiné à exposer des vérités abstraites, et à faire saisir des rapports qui admettent des nuances infinies et des dégradations continues, aussi bien que les linéaments d’un dessin ou que les tons d’un tableau. Ne soyons pas surpris si l’on ne retrouve, à la lecture d’un discours, d’un plaidoyer ou d’une leçon écrite, qu’une partie des émotions, des images, et même des conceptions purement abstraites, suscitées par le débit.

Mais, d’un autre côté, il est clair que tous ces signes qui forment l’accessoire du langage oral, et dont l’emploi habilement ménagé est l’objet de cet art que l’on nomme l’action oratoire, demeurent, pour le commun des hommes, bornés à la traduction des affections les plus simples de la sensibilité. Ils sont restés ce qu’ont dû être dans l’origine les premiers rudiments du langage, ce que sont encore les onomatopées des grammairiens. A la vérité, l’art des gestes a été perfectionné et systématisé pour l’usage des sourds-muets ; mais la systématisation étant l’œuvre de personnes dont toute l’éducation s’était faite sous l’influence du langage ordinaire, cela seul indiquerait que le langage figuré et conventionnel dont ils sont les auteurs n’a dû être qu’une traduction du langage oral ; qu’il a pu en conserver en bonne partie les avantages, mais aussi qu’il a dû en retenir les imperfections.

206. — Le langage s’est tellement incorporé avec les produits de notre intelligence, que les Grecs employaient le même mot pour désigner le langage et la raison, et qu’il doit paraître de prime abord impossible de discerner ce qui tient à la nature de nos facultés intellectuelles d’avec ce qui tient à la forme de l’instrument qu’elles manient. Gomment juger du développement que nos facultés intellectuelles auraient pris avec des instruments ou des signes d’une autre nature, dont nous ne nous formons aucune