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C’est pour avoir méconnu cette loi de l’esprit humain que les philosophes, depuis Pythagore jusqu’à Kepler (153), ont vainement cherché l’explication des grands phénomènes cosmiques dans des idées d’harmonie, mystérieusement rattachées à certaines propriétés des nombres considérés en eux-mêmes, et indépendamment de l’application qu’on en peut faire à la mesure des grandeurs continues ; tandis que la vraie physique a été fondée le jour ou Galilée, rejetant des spéculations depuis si longtemps stériles, a conçu l’idée, non-seulement d’interroger la nature par l’expérience (ce que Bacon proposait aussi de son côté), mais de préciser la forme générale à donner aux expériences, en leur assignant pour objet immédiat la mesure de tout ce qui peut être mesurable dans les phénomènes naturels. Pareille révolution a été faite en chimie un siècle et demi plus tard, lorsque Lavoisier s’est avisé de soumettre à la balance, c’est-à-dire à la mesure ou à l’analyse quantitative, des produits auxquels avant lui les chimistes n’avaient guère appliqué que le genre d’analyse qu’ils appellent qualitative.

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À quoi tient donc cette singulière prérogative des idées de nombre et de quantité ? D’une part, à ce que l’expression symbolique des nombres peut être systématisée de manière qu’avec un nombre limité de signes conventionnels (par exemple, dans notre numération écrite, avec dix caractères seulement) on ait la faculté d’exprimer tous les nombres possibles, et, par suite, toutes les grandeurs commensurables avec celles qu’on aura prises pour unités ; d’autre part, à ce que, bien qu’on ne puisse exprimer rigoureusement en nombres des grandeurs incommensurables, on a un procédé simple et régulier pour en donner une expression numérique aussi approchée que nos besoins le requièrent : d’où il suit que la continuité des grandeurs n’est pas un obstacle à ce qu’on les exprime toutes par des combinaisons de signes distincts en nombre limité, et à ce qu’on les soumette toutes par ce moyen aux opérations du calcul ; l’erreur qui en résulte pouvant toujours être indéfiniment atténuée, ou n’ayant de limites que celles qu’apporte l’imperfection de nos sens à la rigoureuse détermination des données primordiales. La métrologie est la plus simple et la plus complète solution, mais seulement dans un cas singulier,