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tout cela sans que sa considération doive en souffrir ; tandis qu’on flétrit à bon droit de noms odieux l’homme dont le métier est de spéculer sur les subsistances dans les temps calamiteux, ou de prêter de l’argent à des taux excessifs, en allant à la rencontre de ceux que leur mauvaise conduite, leur imprévoyance ou leur misère forcent à subir sa loi. Maintenant, peut-on dire précisément où commence le bénéfice usuraire, soit qu’il s’agisse de blé, d’argent, ou de toute autre marchandise ? Y a-t-il une ligne de démarcation en deçà de laquelle il suffise de se tenir pour prétendre à une scrupuleuse probité, qu’il suffise de franchir pour être assimilé aux plus malhonnêtes gens ? Evidemment cette conclusion répugne ; et l’on doit admettre au contraire qu’avec un sentiment plus délicat de la moralité de ses actes, tel commerçant réprimera plus rigidement les tentations de l’intérêt personnel et aura droit à une place plus haute dans notre estime, sans que pour cela il y ait lieu de condamner absolument celui qui franchit les limites que le premier s’est imposées. Lorsqu’une loi positive fixe le taux de l’intérêt de l’argent, nous comprenons bien qu’une réprobation formelle atteigne ou puisse atteindre celui qui franchit, même tant soit peu, le taux légal ; mais alors la réprobation morale a pour motif l’infraction d’une loi supérieure, à savoir, de celle qui oblige moralement le citoyen de se soumettre aux lois positives de son pays dans les choses qui ressortissent du pouvoir discrétionnaire du législateur. L’intervention de ce pouvoir discrétionnaire doit être considérée comme ayant précisément pour but d’introduire, ainsi que cela sera développé plus loin, une discontinuité artificielle là où la nature des choses n’en avait pas mis. Quand nous lisons les histoires de tous les peuples, nous voyons des gouvernements s’établir par l’abus de la force et par le renversement violent de quelques institutions depuis longtemps régnantes. Le pouvoir conquis de la sorte est qualifié de pouvoir usurpé, par opposition aux pouvoirs légitimes, que crée et que maintient le jeu régulier des institutions d’un pays. Mais d’un autre côté les institutions se modifient sans cesse ; et les changements, même brusques, que le cours des événements y apporte, créent des droits