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je ne puis prouver à un homme qu’on a manqué sa ressemblance, s’il a l’illusion ou le caprice de trouver son portrait ressemblant.

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Un botaniste a commis une erreur dans la description d’une plante : deux étamines avortées lui ont échappé par leur petitesse, et il a rangé dans la pentandrie de Linné une espèce qu’il fallait mettre dans l’heptandrie. Pour réformer cette erreur, des yeux et une loupe suffiront à un observateur plus attentif ou que n’a pas trompé un cas de monstruosité accidentelle : après quoi l’erreur ne pourra plus reparaître ; la botanique descriptive en sera définitivement débarrassée, et, en revanche, se sera enrichie d’un fait précis, positif, incontestable. Mais je suppose que la fleur soit sujette à ce qu’on appelle un avortement constant, normal, spécifique ; que les deux étamines, modifiées dans leur développement, deviennent des organes dont les formes et les fonctions s’éloignent de plus en plus de celles des étamines ordinaires ; que d’après cela un botaniste ait rangé la plante dans une des familles qui ont parmi leurs caractères distinctifs la présence de cinq étamines ; qu’un autre botaniste, appréciant autrement l’importance relative des caractères, et démêlant ce qu’il y a d’essentiel et de persistant, ce qu’il y a d’accessoire et de variable dans la constitution des organes, rejette la plante dans une des familles à sept étamines : comment se videra le différend ? Sans doute, par le jugement des botanistes les plus autorisés. Mais ce jugement, comment se formera-t-il ? Non point par une démonstration expérimentale qui tombe sous les sens ; encore moins par des arguments en forme, comme ceux qui sont à l’usage des logiciens et des géomètres. Car, si d’un côté il y a des cas où cette transformation d’organes n’est manifestement qu’un phénomène secondaire, lequel ne doit pas masquer aux yeux d’un naturaliste exercé des affinités plus intimes ; d’autre part, en allant de métamorphose en métamorphose, l’on ne saurait où s’arrêter, et l’on finirait par confondre les choses les plus disparates. Ici le vrai et le faux tendent, pour ainsi dire, à se fondre l’un dans l’autre : la vérité ne se montre pas comme une lueur uniforme éclairant un espace nettement circonscrit, mais plutôt comme un jet de lumière qui s’affaiblit