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me représenter parfaitement la série des notes qui le constituent, et dans ce cas ma perception se composera d’un système de perceptions distinctes et discontinues ; mais, si mon souvenir porte sur toutes les impressions que j’ai ressenties en entendant exécuter ce morceau par une cantatrice habile, sur le timbre, l’accentuation, les modulations de sa voix qu’aucune notation ne peut rendre, j’entreverrai encore des nuances infinies dans un ensemble harmonieux et continu. Tout cela a été mille fois constaté, mille fois exprimé par toutes les formes du langage. La discontinuité ou la continuité se trouve dans les faits de mémoire, non-seulement par la nature des objets sur lesquels porte le souvenir, mais encore par la nature des forces et des conditions, quelles qu’elles soient, organiques ou hyperorganiques, dont dépendent les actes de mémoire. On remarque souvent qu’après de longs efforts pour se rappeler un nom, une date, un fait historique, le rappel du fait oublié a lieu soudainement et comme par secousse ; tandis que d’autres fois on a une réminiscence vague et confuse, dont peu à peu les linéaments se dessinent, jusqu’à ce qu’ils aient pris une forme nettement arrêtée.

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On dit d’une image qu’elle est fidèle, d’une idée qu’elle est vraie, et l’on entend par là exprimer la conformité entre l’objet ou le type perçu et l’image ou l’idée présente à l’esprit. Si la conformité est rigoureuse, l’idée est dite exacte ou adéquate ; mais les modifications de l’idée, qui altèrent cette conformité rigoureuse, peuvent, selon les cas, admettre la discontinuité ou la continuité ; de sorte qu’il y ait passage brusque de la vérité à l’erreur, ou au contraire dégradation continue de la vérité. Tout le monde comprend que le portrait d’une personne, le tableau d’un paysage peuvent être plus ou moins fidèles et ressemblants ; qu’il y a dans cette ressemblance des nuances infinies, sans qu’on puisse d’une part atteindre à la ressemblance parfaite ou rigoureuse, de l’autre, tracer une ligne de démarcation entre ce qui ressemble, quoique imparfaitement, et ce qui cesse tout à fait de ressembler. On dit qu’il y a de la vérité dans un portrait ou qu’il manque de vérité, on y signale des parties mieux rendues les unes que les autres ; mais on ne s’aviserait pas de faire