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arbitrairement l’unité principale et fixé arbitrairement la loi de ses divisions et subdivisions successives, une grandeur continue quelconque comporte une expression numérique aussi approchée qu’on le veut, puisqu’elle tombe nécessairement entre deux grandeurs susceptibles d’une expression numérique exacte, et dont la différence peut être rendue aussi petite qu’on le veut. Les grandeurs continues, ainsi exprimées numériquement au moyen d’une unité arbitraire ou conventionnelle, passent à l’état de quantités, ou sont ce qu’on appelle des quantités. Ainsi l’idée de quantité, toute simple qu’elle est, et quoiqu’elle ait été considérée généralement comme une catégorie fondamentale ou une idée primitive, n’est point telle effectivement ; et l’esprit humain la construit au moyen de deux idées vraiment irréductibles et fondamentales, l’idée de nombre et l’idée de grandeur. Non-seulement l’idée de quantité n’est point primordiale, mais elle implique quelque chose d’artificiel. Les nombres sont dans la nature, c’est-à-dire subsistent indépendamment de l’esprit qui les observe ou les conçoit ; car une fleur a quatre, ou cinq, ou six étamines, sans intermédiaire possible, que nous nous soyons ou non avisés de les compter. Les grandeurs continues sont pareillement dans la nature ; mais les quantités n’apparaissent qu’en vertu du choix artificiel de l’unité, et à cause du besoin que nous éprouvons (par suite de la constitution de notre esprit) de recourir aux nombres pour l’expression des grandeurs (153). Dans cette application des nombres à la mesure des grandeurs continues, le terme d’unité prend évidemment une autre acception que celle qu’il a quand on l’applique au dénombrement d’objets individuels et vraiment uns par leur nature. Philosophiquement, ces deux acceptions sont tout juste l’opposé l’une de l’autre. C’est un inconvénient du langage reçu, mais un inconvénient moindre que celui de recourir à un autre terme que l’usage n’aurait pas sanctionné. Au contraire, on blesse à la fois le sens philosophique et les analogies de la langue, lorsqu’on applique aux nombres purs, aux nombres qui désignent des collections d’objets vraiment individuels, la dénomination de quantités,