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des autres que par la propriété qu’elles ont d’épuiser leur action dans un temps très-court et ordinairement inappréciable pour nous, à cause de l’imperfection de nos sens et de nos moyens d’observation. Par exemple, quand une bille élastique va frapper un obstacle, le changement brusque qui nous semble s’opérer dans la direction du mouvement et dans la vitesse de la bille, n’est brusque qu’en apparence : en réalité le corps se déforme insensiblement, perd graduellement la vitesse dont il était animé ; après quoi, des réactions moléculaires lui restituent sa forme principale, en lui imprimant une autre vitesse dans une direction différente : tout cela dans un intervalle de temps si court qu’il échappe à notre appréciation et que nous ne pouvons le saisir, bien qu’on ne puisse mettre en doute la succession des diverses phases du phénomène. De même, lorsqu’un rayon de lumière nous semble se briser brusquement au passage d’un milieu dans un autre d’une densité différente, en réalité le rayon s’infléchit sans discontinuité ; la nouvelle direction se raccorde avec la direction primitive par une portion de courbe dont les dimensions nous échappent.

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Dans l’idée que nous nous faisons des lignes, des angles, des forces, de la durée, etc., l’attribut de continuité se trouve associé à celui de grandeur ; et nous concevons la grandeur comme un tout homogène, susceptible d’être divisé, au moins par la pensée, en tel nombre qu’on voudra de portions parfaitement similaires ou identiques : ce nombre pouvant croître de plus en plus, sans que rien en limite l’accroissement indéfini. À cette notion de la grandeur se rattache immédiatement celle de la mesure. Une grandeur est censée connue et déterminée lorsqu’on a assigné le nombre de fois qu’elle contient une certaine grandeur de même espèce prise pour terme de comparaison ou pour unité. Toutes les grandeurs de même espèce, dont celle-ci est une partie aliquote, se trouvent alors représentées par des nombres ; et comme on peut diviser et subdiviser, suivant une loi quelconque, l’unité en autant de parties aliquotes que l’on veut, susceptibles d’être prises à leur tour pour unités dérivées ou secondaires, il est clair qu’après qu’on a choisi