Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/295

Cette page n’a pas encore été corrigée


184

Dès que notre intelligence commence à démêler quelques perceptions, elle acquiert la notion d’objets distincts et semblables, comme les étoiles sur la voûte céleste, les cailloux sur les plages de la mer, les arbres ou les animaux à travers une campagne. De là l’idée de nombre, la plus simple, la plus vulgaire de toutes les conceptions abstraites, et celle qui contient en germe la plus utile comme la plus parfaite des sciences. Quand même l’homme, privé de ses sens ou de certains sens, n’aurait pas la connaissance des objets extérieurs, si d’ailleurs ses facultés n’étaient pas condamnées à l’inaction, on conçoit que l’idée de nombre pourrait lui être suggérée par la conscience de ce qui se passe en lui, par l’attention donnée à la reproduction intermittente des phénomènes intérieurs, identiques ou analogues. Le nombre est conçu comme une collection d’unités distinctes : c’est-à-dire que l’idée de nombre implique à la fois la notion de l’individualité d’un objet, de la connexion ou de la continuité de ses parties (s’il a des parties), et celle de la séparation ou de la discontinuité des objets individuels. Lors même qu’il y aurait entre les objets nombrés une contiguïté physique, il faut que la raison les distingue et qu’on puisse les considérer à part, nonobstant cette contiguïté ou cette continuité accidentelle et nullement inhérente à leur nature. Des cailloux qui se touchent ne cessent pas