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la raison de l’ordre et de l’harmonie des phénomènes. Mais à l’inverse, puisque la beauté des œuvres de l’homme ne nous apparaît que comme un reflet et une image affaiblie des beautés cosmiques, il y a lieu d’en induire que l’idée du beau ne tire pas son origine de convenances purement humaines : et de même qu’en voyant le monde soumis à des lois géométriques, nous en inférons que les idées et les rapports géométriques subsistent indépendamment de l’esprit qui les conçoit et ne doivent pas être rangés parmi les abstractions artificielles et arbitraires, mais parmi les principes rationnels des choses ; de même les beautés répandues à profusion dans l’ensemble et dans les détails du monde doivent nous porter à croire que les principes et la raison du beau ne tiennent pas aux particularités de l’organisation de l’homme, et sont d’un ordre bien supérieur à l’ordre des faits purement humains. On pourrait même supposer, au moins de prime abord, que l’influence exercée sur l’homme par le spectacle de la nature est ce qui a façonné les goûts de l’homme, au point de lui rendre un objet agréable et de faire qu’il y trouve de la beauté, lorsque cet objet lui rappelle les proportions, les formes, les assortiments de couleurs, etc., auxquels le spectacle journalier du monde l’a de bonne heure habitué. En général, toutes les hypothèses dont la discussion fait l’objet du chapitre v, et auxquelles on peut recourir pour l’explication des diverses harmonies de la nature, peuvent être invoquées pour rendre raison de l’harmonie entre l’ordre du monde et nos goûts sur la beauté, sauf à examiner plus à fond laquelle a le plus haut degré de probabilité, selon la force des inductions et l’étendue des analogies qui militent en sa faveur ; mais ce qui semble de prime abord improbable et inadmissible, c’est la supposition que nos idées et nos goûts sur la beauté tiennent aux particularités de notre organisation individuelle ou spécifique, et que pourtant elles se trouvent fortuitement d’accord avec l’ordonnance générale du monde.

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Il y a lieu de faire une autre remarque générale, complètement analogue à celle qui nous a été suggérée (173) à propos des idées morales. Dans les produits de l’art humain, la découverte des règles et des conditions du beau