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faisons quelques remarques générales. Non-seulement une multitude d’objets naturels nous plaisent et nous semblent beaux, mais le monde lui-même, pris dans son ensemble, nous offre à un degré éminent les caractères de la beauté, et le nom même que lui ont donné les anciens, s’il faut en croire leur propre témoignage, est l’expression de cette beauté éminente. La nature extérieure n’est pas seulement une source inépuisable d’observations méthodiques pour les savants, de calculs pour les géomètres et de méditations pour les philosophes : c’est une source aussi merveilleusement féconde de beautés poétiques et de ravissantes extases. Or, si l’homme ne tirait l’idée du beau que des convenances de sa propre nature et des particularités de son organisation ; si, par exemple, comme beaucoup de gens l’ont prétendu, nous ne jugions de la beauté des proportions et des formes que tout autant qu’elles se rapportent aux proportions et aux formes du corps humain, ne serait-ce point par un hasard tout à fait singulier et improbable, qu’en partant de ce modèle arbitraire, nous trouverions sans cesse dans la nature extérieure, à mesure que nous en sondons les profondeurs et que nous en scrutons les détails, non-seulement quelques objets réunissant fortuitement les conditions de cette beauté relative et toute humaine, mais des beautés de détail sans nombre et des beautés d’ensemble qui l’emportent infiniment, comme chacun en tombe d’accord, sur celles des plus admirables productions de l’art humain ? Ne voyons-nous pas que, pour ce qui tient à d’autres idées, par exemple aux idées du bon et de l’utile, idées relatives en effet à notre nature et à nos besoins, un pareil accord ne s’observe pas : en sorte qu’il nous est le plus souvent impossible de dire à quoi servent, à quoi sont bonnes, à quoi sont utiles tant d’œuvres merveilleuses que la nature, selon nos idées humaines, ne semble produire que pour le plaisir de produire ? Donc, cette idée humaine du bon et de l’utile ne doit pas être transportée, ou du moins rien ne nous autorise à la transporter dans le domaine des faits naturels, et l’on court grand risque de s’égarer en y cherchant