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soumettons les êtres, pour la symétrie et la commodité de nos méthodes, le genre peut être naturel et la classe artificielle, ou réciproquement. Il n’y a pas, dans le règne animal, de classe plus naturelle que celle des oiseaux ; mais malgré cela, ou même à cause de cela, il y a dans la classe des oiseaux plus d’un genre sur lequel les naturalistes ne sont pas d’accord, et qu’on peut véhémentement soupçonner d’être un genre artificiel. Un genre est artificiel, lorsque la distribution des variétés de formes entre les espèces que ce genre comprend, n’a rien qui ne puisse être raisonnablement attribué au jeu fortuit de causes variant irrégulièrement d’une espèce à l’autre. Alors il manque un terme dans la série d’échelons que nous avons indiquée ; et aux causes fondamentales qui déterminent le type de la classe (le type de l’oiseau, par exemple), viennent se subordonner sans intermédiaire les causes qui varient en toute liberté d’une espèce à l’autre, et qui produisent les différences spécifiques.

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Il peut y avoir et il y a d’ordinaire un plus grand nombre d’échelons que nous ne l’avons indiqué. D’ailleurs la conception même de ces échelons n’est qu’une image imparfaite, et l’on observe dans la subordination et l’enchevêtrement des causes naturelles, des nuances sans nombre que nos nomenclatures et nos classifications ne peuvent exprimer. De là un mélange inévitable d’abstractions rationnelles, qui ont leur type ou leur fondement dans la nature des choses, et d’abstractions artificielles ou purement logiques dont on se sert comme d’instruments, mais qui, en tant qu’objets directs de connaissance et d’étude, manqueraient de cette dignité théorique par laquelle sont excités et soutenus les esprits élevés. C’est à démêler les abstractions artificielles, introduites dans les sciences naturelles pour la commodité de l’étude, d’avec les abstractions rationnelles par lesquelles notre esprit saisit et exprime les traits dominants du plan de la nature, que tendent les travaux des naturalistes les plus éminents : c’est dans cette critique que consiste principalement la philosophie des sciences naturelles. La difficulté d’y réussir complètement tient à la continuité des plans de la nature, ainsi qu’à la variété infinie des causes modificatrices, dont nous ne pouvons trouver