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d’une démonstration logique que la nature des choses rend impossible.

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Nous allons passer à cette autre catégorie d’idées abstraites auxquelles l’esprit s’élève par voie de synthèse, afin de relier dans une unité systématique les apparences variables des choses qui sont l’objet immédiat de ses intuitions. Ce sont là les idées ou les conceptions auxquelles nous attribuons le nom d’entités : et afin de ne pas trop effaroucher quelques lecteurs par un mot qui rappelle autant la barbarie scolastique, il sera à propos de choisir d’abord les exemples les plus palpables, et de montrer comment l’entité intervient pour la conception des phénomènes qui tombent le plus immédiatement sous les sens.

Si nous imprimons un ébranlement à un point de la surface d’une masse liquide, nous donnons naissance à une onde dont nous suivons des yeux la propagation en tout sens, à partir du centre d’ébranlement. Cette onde a une vitesse de propagation qui lui est propre, et qu’il ne faut pas confondre avec les vitesses de chacune des particules fluides qui successivement s’élèvent et s’abaissent un peu, au-dessus et au-dessous du plan de niveau qui les contient dans l’état de repos. Ces mouvements de va-et-vient imprimés aux particules matérielles restent très-petits et à peine mesurables ; tandis que l’onde chemine toujours dans le même sens, jusqu’à de grandes distances, avec une vitesse que nous apprécions parfaitement sans instruments, et que nous pouvons mesurer de la manière la plus exacte en nous aidant d’instruments convenables. Si plusieurs points de la surface, éloignés les uns des autres, deviennent en même temps des centres de mouvements ondulatoires, nous verrons plusieurs systèmes d’ondes se rencontrer, se croiser sans se confondre. Tout cela nous autorise bien à concevoir l’idée de l’onde, comme celle d’un objet d’observation et d’étude, qui a sa manière d’être, ses lois, ses caractères ou attributs, tels que celui d’une vitesse de propagation mesurable. Cependant l’onde n’est vraiment qu’une entité : la réalité matérielle ou substantielle appartient aux molécules qui deviennent successivement le siège de mouvements oscillatoires. La conception systématique du mode de succession et de liaison de ces mouvements, voilà l’idée de