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avant qu’il n’ait pris, pour ainsi dire, confiance dans ses découvertes ? Tout le calcul des valeurs négatives, imaginaires, infinitésimales, n’est-il que le résultat de règles admises par conventions arbitraires ; ou toutes ces prétendues conventions ne sont-elles que l’expression nécessaire de rapports que l’esprit est certainement obligé (attendu leur nature idéale et purement intelligible) de représenter par des signes de forme arbitraire, mais qu’il n’invente point au gré de son caprice, ou par la seule nécessité de sa propre nature, et qu’il se borne à saisir, tels que la nature des choses les lui offre, en vertu de la faculté de généraliser et d’abstraire qui lui a été départie ? Voilà ce qui partage les géomètres en sectes ; voilà le fond de la philosophie des mathématiques comme de toute philosophie. Tout cela, remarquons-le bien, ne touche point à la partie positive et vraiment scientifique de la doctrine. Tous les géomètres appliqueront aux symboles des valeurs négatives, imaginaires, infinitésimales, les mêmes règles de calcul, obtiendront les mêmes formules, quelque opinion philosophique qu’ils se soient faite sur l’origine et sur l’interprétation de ces symboles : mais, ce qui n’intéresse pas la doctrine au point de vue des règles positives et des applications pratiques, est précisément ce qui contient la raison de l’enchaînement et des rapports des diverses parties de la doctrine. Démontrer logiquement que certaines idées ne sont point de pures fictions de l’esprit, n’est pas plus possible qu’il ne l’est de démontrer logiquement l’existence des corps (151) ; et cette double impossibilité n’arrête pas plus les progrès des mathématiques positives que ceux de la physique positive. Mais il y a cette différence, que la foi à l’existence des corps fait partie de notre constitution naturelle : tandis qu’il faut se familiariser, par la culture des sciences, avec le sens et la valeur des hautes abstractions qu’on y rencontre. C’est ce qu’exprime ce mot commun, attribué à d’Alembert : allez en avant, et la foi vous viendra ; non pas une foi aveugle, machinale, produit irréfléchi de l’habitude, mais un acquiescement de l’esprit, fondé sur la perception simultanée d’un ensemble de rapports qui ne peuvent que successivement frapper l’attention du disciple, et d’où résulte un faisceau d’inductions auxquelles la raison doit se rendre, en l’absence