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une langue commune. Ceci accuse une complication et un enchevêtrement de rapports, rebelle à nos procédés logiques de définition, de division et de classification ; et rien ne montre mieux que l’objet des mathématiques existe hors de l’esprit humain, et indépendamment des lois qui gouvernent notre intelligence.

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Il appartient à la philosophie générale de fixer le rang des mathématiques dans le système général de nos connaissances et d’apprécier la valeur des notions premières qui servent de fondement à cette vaste construction scientifique. Que si l’on entre dans les détails d’économie et de structure intérieures, on voit surgir des questions analogues, auxquelles les mêmes moyens de critique sont applicables, et qui, d’un intérêt spécial pour les géomètres que leurs études préparent à les bien entendre, composent en grande partie ce qu’on peut appeler la philosophie des mathématiques. Il va sans dire que ces questions de détail ne sauraient entrer dans notre cadre : nous en avons traité dans d’autres ouvrages auxquels on trouvera tout simple que nous renvoyions le lecteur curieux de ces sortes de spéculations, en nous bornant ici aux indications les plus succinctes. Au premier rang des questions philosophiques, en mathématiques comme ailleurs, se placent celles qui portent sur la valeur représentative des idées, et où il s’agit de distinguer, selon l’expression de Bertrand de Genève, ce qui appartient aux choses mêmes (l’abstraction rationnelle), d’avec ce qui n’appartient qu’à la manière dont nous pouvons et voulons les envisager (l’abstraction artificielle ou purement logique). L’Algèbre n’est-elle qu’une langue conventionnelle, ou bien est-ce une science dont les développements, liés sans doute à l’emploi d’une notation primitivement arbitraire et conventionnelle, embrassent pourtant un ensemble de faits généraux et de relations abstraites ou purement intelligibles, que l’esprit humain découvre, démêle avec plus ou moins d’adresse et de bonheur, mais qu’il crée si peu, qu’il lui faut beaucoup de tâtonnements et de vérifications