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le nom d’idées abstraites à celles que nous procure une abstraction ou une décomposition ultérieure à laquelle nous soumettons les idées des objets sensibles. D’une autre part, l’acte de composition ou de synthèse par lequel la pensée coordonne les matériaux fournis par la sensibilité, en y introduisant un principe d’unité et de liaison systématique, aboutit à la conception d’entités, que l’on qualifie souvent aussi d’idées abstraites, par opposition aux images des objets sensibles ; mais qu’il faut pourtant distinguer des idées obtenues par voie de décomposition ou d’abstraction proprement dite. La formation des idées abstraites et des entités n’est pas réservée aux philosophes et aux savants : le travail qui les produit commence dès que l’esprit humain entre en action, et se manifeste dans l’organisation des langues, quel que soit le degré de culture des peuples qui les parlent. Notre but, dans ce chapitre, doit être de discerner, à l’aide des règles de critique dont nous tenons à montrer partout l’application, la part qui revient à la constitution des objets pensés et la part qui revient aux lois régulatrices de la pensée, dans la formation des idées abstraites proprement dites, et dans la conception de ces types purement intelligibles, que nous ne craignons pas de nommer entités, quoique à une certaine époque les philosophes aient abusé du mot et de la chose, et quoique à une autre époque la chose et le mot soient tombés dans un injuste décri

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Remarquons d’abord qu’on se ferait de l’abstraction une notion fausse, ou tout au moins très-incomplète, si l’on n’y voyait qu’un procédé de l’esprit qui isole les propriétés d’un objet pour les étudier à part et arriver ainsi plus aisément à la connaissance de l’objet. Ceci est l’abstraction, telle qu’on l’entend dans la logique vulgaire ; et en ce sens les idées abstraites, les sciences abstraites seraient des produits purement artificiels de l’entendement, ce qui n’est vrai que de certaines idées et de certaines sciences abstraites. Mais il y a une autre abstraction (celle-là même qui nous a donné, pures de toute image sensible, les idées de l’étendue et de la durée, de l’espace et du temps), abstraction en vertu de laquelle nous distinguons par la pensée des éléments indépendants les uns des autres, quoique la sensation les confonde. Il y a des idées abstraites qui correspondent à des faits généraux, à des lois supérieures auxquelles sont subordonnées