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antinomie. La thèse et l’antithèse se prouvent également bien et se détruisent l’une l’autre. Kant met sur la même ligne deux autres antinomies, dont nous n’avons pas besoin de parler ici. Ces antinomies ou (pour parler un langage moins technique) ces contradictions sont réelles ; il n’est pas nécessaire, pour en être frappé, de recourir à des arguments pourvus des formes scolastiques, il suffit de parcourir les livres des philosophes, d’entrer un peu dans leurs débats interminables. Mais, à nos yeux, ce ne sont pas des contradictions de la raison, ce sont des contradictions de l’esprit humain, chose bien différente ; car, si la raison ne peut se contredire elle-même sans perdre son unité et son autorité régulatrice, on peut bien comprendre que, dans l’organisation complexe de l’esprit humain, des rouages soient capables de se contrarier, et que l’entendement, dans sa manière d’élaborer et de relier les matériaux fournis par les sensations, ait ses illusions comme il en a dans les sensations, ou dans certains jugements spontanés qui s’associent constamment aux sensations et que la raison désavoue (85). C’est là le seul motif plausible que puisse faire valoir Kant pour refuser aux idées d’espace et de temps toute valeur objective, et pour ne les considérer que comme des formes de la sensibilité ; mais en cela il va trop loin : car il suffit d’admettre avec Leibnitz que l’espace et le temps sont des phénomènes, qui n’ont objectivement qu’une réalité relative et non absolue, pour faire évanouir des contradictions où le point de départ des deux thèses contraires est l’attribution d’une valeur objective absolue à l’idée de l’espace et à celle du temps. L’esprit humain est organisé pour percevoir, dans l’espace et dans la durée, des rapports qui existent effectivement hors de lui et indépendamment de lui. Il pénètre ainsi dans la réalité, mais dans une réalité relative, phénoménale, dont la connaissance suffit aux besoins et au rôle de l’homme dans le monde. Lorsqu’il est tenté de l’outrepasser et d’ériger cette réalité relative en réalité absolue, il cède sans doute à un penchant de sa nature, mais ce penchant le trompe, et la raison l’en avertit, en lui montrant des abîmes sans fond et des contradictions sans issue.

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Les deux antinomies kantiennes ne sont pas les