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science, et d’une science qui peut se construire indépendamment de l’expérience (28), les idées d’espace et de temps offrent encore une grande disparité. L’espace a trois dimensions et le temps n’en a qu’une. Il faut trois grandeurs (ou, comme disent les géomètres, trois coordonnées) pour fixer la position d’un point susceptible de se déplacer d’une manière quelconque dans l’espace ; il n’en faut plus que deux si le point est assujetti à rester sur une surface, par exemple sur un plan ou sur une sphère ; il n’en faut plus qu’une si le point est pris sur une ligne déterminée. Ainsi, les étapes d’une route sont fixées, quand on assigne les distances à un point pris sur la route, tel que le point de départ ou l’origine du bornage de la route. Un point est fixé à la surface des mers, quand on en donne la longitude et la latitude ; mais, s’il s’élève au-dessus, ou s’abaisse au-dessous de la surface, il faudra assigner une troisième coordonnée, à savoir la hauteur au-dessus du niveau des mers, ou la profondeur au-dessous de ce même niveau. Au contraire, pour fixer l’époque d’un phénomène ou sa position dans le temps, il suffit, comme pour fixer le lieu d’un point sur une ligne, d’assigner une seule grandeur, à savoir le temps écoulé ou qui doit s’écouler, entre un instant pris pour ère ou pour origine du temps, et l’instant du phénomène. De là l’infinie variété des rapports de grandeur, de configuration, de situation et d’ordre, qui sont l’objet de la géométrie ; tandis que l’idée du temps, vu son extrême simplicité, ne saurait fournir l’étoffe d’une théorie qui mérite le nom de science, tant qu’elle n’est pas associée aux conceptions abstraites de la géométrie, ou à d’autres notions suggérées par l’étude expérimentale du monde physique.

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Après avoir indiqué les contrastes, revenons aux analogies (138), et voyons si nos procédés de critique philosophique n’ont absolument aucune prise sur ces questions abstruses que les métaphysiciens ont soulevées à propos des grandes et fondamentales idées de l’espace et du temps. Ces idées ne seraient-elles en effet, comme Kant le veut, que des lois de l’esprit humain, des formes où doivent en quelque sorte venir se mouler les idées plus particulières dont la sensibilité fournit les matériaux à l’entendement, des règles à la faveur desquelles devient possible l’expérience qui nous instruit de l’existence des objets extérieurs ? Donner, hors de l’esprit humain,