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ni le temps ne pouvant, selon eux, être conçus comme des substances, ils en font les attributs d’une substance ; et parce que les idées de l’espace et du temps revêtent les caractères de nécessité et d’infinité, ils en font les attributs de l’être nécessaire et infini. Le temps est l’éternité de Dieu, l’espace est son immensité ; et le rigoureux spiritualisme, la foi religieuse de ces grands hommes ont beau protester contre l’intention de donner de l’étendue et des parties à la substance divine : la force de l’analogie les entraîne. Ainsi, quand Leibnitz soumet à l’épreuve critique, tirée de son principe de la raison suffisante, les deux idées de l’espace et du temps, le résultat de l’épreuve est le même pour l’une et pour l’autre. Ni l’espace ni le temps ne peuvent avoir une existence absolue, pas plus à titre d’attributs de la substance divine qu’à titre de substances créées. Car, toutes les parties de l’espace étant parfaitement similaires, il n’y aurait pas de raison pour que le monde, supposé fini, occupât telle portion de l’espace infini plutôt que toute autre ; et si le monde est infini, on pourrait toujours concevoir le système entier du monde se déplaçant dans l’espace absolu, tandis que les parties du système conserveraient leurs positions relatives, en sorte qu’il n’y aurait toujours pas de raison pour que chaque élément du système occupât tel lieu absolu plutôt que tout autre (116). De même, toutes les parties du temps étant parfaitement similaires, il n’y aurait pas de raison pour que la durée du monde, si cette durée est finie, correspondît à telle portion du temps absolu plutôt qu’à toute autre ; et si le monde n’a ni commencement ni fin, on pourrait toujours concevoir un déplacement de toute la série des phénomènes dans le temps absolu, qui ne troublerait pas leurs époques relatives : de sorte qu’il n’y aurait pas de raison pour que chaque phénomène se produisît à tel instant plutôt qu’à tout autre. Donc, ni l’espace ni le temps ne peuvent avoir d’existence absolue : l’espace n’est que l’ordre des phénomènes coexistants ; le temps n’est que l’ordre des phénomènes successifs : supprimez les phénomènes, et l’idée de l’espace comme celle du temps n’a plus d’objet. Ainsi, pour troisième et dernier exemple, lorsque Kant, prenant le contre-pied de la théorie de Newton, refuse toute valeur objective à l’idée de l’espace, il en fait autant pour