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physiques, sont censées inhérentes aux dernières particules de la matière, comme à leur substratum, nous n’avons nulle peine à admettre qu’elles y résident d’une manière permanente (que les circonstances leur permettent ou non de produire des effets sensibles), et il n’est point nécessaire de recourir à une intervention de la puissance créatrice pour douer les particules matérielles de ce genre de forces ou de propriétés, au moment même où les forces entrent en jeu. En d’autres termes, l’origine ou le commencement des phénomènes chimiques n’a rien pour nous de mystérieux, quoique l’essence des forces chimiques, comme l’essence de toute chose, se dérobe nécessairement à nos investigations. Au contraire, un voile mystérieux recouvre et doit nécessairement recouvrir, non-seulement l’origine de la vie et de l’organisation en général, mais les origines de chaque espèce vivante et les causes de la diversité des espèces selon les temps et les lieux. D’un côté, l’observation met hors de doute que ces espèces n’ont pas toujours existé ; d’autre part, les données de l’observation ne répugnent pas moins à ce que nous admettions un développement spontané, une formation de toutes pièces, produisant des animaux et des plantes par d’autres voies que celles de la génération ordinaire. Aussi voit-on que les savants les moins enclins à recourir aux explications surnaturelles, et qui ne s’aviseraient pas d’employer le mot de création pour désigner la formation des minéraux et des roches, des couches et des filons, des dépôts de houille et des colonnes de basaltes, parce que, dans la production de tous ces objets (et lors même que les circonstances actuelles ne permettraient pas qu’ils se produisent maintenant), nous n’avons aucune peine à reconnaître l’action des forces physiques, actuellement encore inhérentes à la matière, emploient au contraire les mots de création animale ou végétale pour désigner l’ensemble des espèces propres à une contrée ou à une période géologique : n’entendant point par là faire appel à une intervention surnaturelle, mais seulement marquer qu’il nous est également impossible d’admettre la perpétuité et de concevoir le commencement naturel de l’ordre de phénomènes que nous offre l’ensemble des êtres vivants. Il ne s’agit pas ici d’un problème de métaphysique, comme de savoir si le monde est ou n’est pas éternel, si la matière est créée ou incréée, si l’ordre dépend