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l’indépendance des êtres organisés et sur la solidarité de leurs parties constituantes.

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En définitive, le contraste entre les phénomènes purement matériels et ceux que les êtres vivants nous présentent tient à ce que notre manière de concevoir les forces physiques, c’est de les supposer inhérentes à des particules matérielles comme à leur substratum permanent et indestructible, tandis que le propre des forces vitales et plastiques, auxquelles la raison dit qu’il faut rapporter l’unité harmonique de l’être organisé, conformément au type de chaque espèce, et avec l’aptitude à des variétés héréditairement transmissibles, c’est de ne pouvoir être conçues comme adhérant, d’une manière fixe et immuable, à aucun substratum matériel, simple ou composé. Ainsi apparaissent, dès le seuil de la physiologie, toutes les difficultés et tous les mystères dont les philosophes se préoccupent surtout à propos des phénomènes qui ont pour théâtre la conscience humaine et qui donnent lieu à des actes volontaires et réfléchis. Ce n’est pas seulement pour les phénomènes de cet ordre, le plus élevé de tous, mais pour toutes les fonctions de la vie que l’unité harmonique et l’énergie formatrice, toujours étroitement liées à des dispositions organiques et à des excitations physiques, ne peuvent cependant, à la manière des forces physiques, être réputées adhérentes à un substratum matériel, simple ou composé, à une molécule ou à un système de molécules : d’où résultent nécessairement une incohérence dans le système de nos conceptions, et une interruption dans leur enchaînement théorique, lorsque nous passons, de la description ou de l’explication des phénomènes de l’ordre physique, à la description ou à l’explication des phénomènes qui se produisent au sein de la nature vivante. De là l’impossibilité de concevoir, dans l’histoire de la nature, la première apparition des êtres vivants, et la formation d’un organisme qui ne dériverait pas d’un organisme préexistant, comme nous concevons, par exemple, sans aucune difficulté, la formation des cristaux et la première manifestation des phénomènes chimiques, à la suite de la concentration graduelle d’une matière nébuleuse disséminée dans les espaces célestes. Du moment, en effet, que les forces auxquelles nous attribuons la puissance de produire les phénomènes